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Depuis un temps immémorial les mêmes usages s’y sont conservés. La langue y est encore cette langue euskarienne dont l’âge semble incalculable et dont l’origine demeure inconnue ; les paysans y labourent, suivant les mêmes méthodes, le champ des ancêtres ; et l’écho des rivières y répète les plaintives chansons d’autrefois. Le jeu national de la pelote s’y est perpétué d’âge en âge ; et les jeunes gens nouveaux venus trouvent dans leur sang, dans les instincts formés par une hérédité accumulée ce goût pour la contrebande contre lequel aucune défense, aucune idée de morale sociale ne saurait prévaloir. Par combien de générations ont été usés ces bancs de pierre où les amoureux devant les maisons se disent des choses toujours pareilles ! Combien de fêtes et combien de glas ont sonnés ces cloches, combien de prières ont entendues ces murs croulans ! On a l’impression de la vétusté des choses. L’ombre des siècles est sur cette terre. L’esprit des temps anciens l’habite, invisible et caché aux heures où notre attention est distraite et dupée par les apparences multiples, mais présent toujours, agissant sans cesse, maintenant la cohésion de ce peuple, conduisant les enfans à agir comme avant eux leurs pères avaient agi, au flanc des mêmes montagnes, dans les mêmes villages, autour des mêmes clochers. À de certains momens il prend forme et il prend corps, et il devient perceptible à nos sens. Ramuntcho le rencontre dans ses courses au milieu des ténèbres. « L’estuaire qui achève de s’enténébrer et où n« se voient plus les amas d’habitations humaines lui semble peu à peu devenir différent, puis étrange tout à coup comme si quelque mystère allait s’y accomplir ; il n’en perçoit plus que les grandes lignes abruptes qui sont presque éternelles, et il s’étonne de penser confusément à des temps plus anciens, d’une antiquité imprécise et obscure… L’esprit des vieux âges qui parfois sort de terre durant les nuits calmes, aux heures où dorment les êtres perturbateurs de nos jours, l’esprit des vieux âges commence sans doute de planer dans l’air autour de lai ; il ne définit pas bien cela ; mais il en a la notion et l’inquiétude… Cependant quand les deux cornes agrandies et rongées de la lune s’enfoncent lentement derrière la montagne toute noire, les aspects des choses prennent pour un inappréciable instant on ne sait quoi de farouche et de primitif ; alors une mourante impression des époques originelles qui était restée on ne sait où dans l’espace se précise pour lui d’une façon soudaine et il en est troublé jusqu’au frisson. Voici même qu’il songe, sans le vouloir, à ces hommes des forêts qui vivaient ici dans tes temps, dans les temps incalculés et ténébreux, parce que tout d’un coup d’un point éloigné de la rive un long cri basque s’élève de l’obscurité en fausset