Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 142.djvu/718

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
712
REVUE DES DEUX MONDES.

cialistes avaient particulièrement et presque exclusivement opéré dans les milieux ouvriers. C’est là qu’ils avaient cru trouver le sol le mieux approprié à la semence qu’ils espéraient y voir germer. Ils avaient peu de confiance dans le paysan, ou, pour être plus exact, ils n’en avaient aucune. Le paysan, soit qu’on le prit isolément et comme individu, soit qu’on le prît en masse et comme multitude, paraissait être réfractaire à l’Évangile des temps prochains. Les écrivains socialistes s’exprimaient sur lui dans les termes les plus durs ; on aurait cru entendre les prophètes de l’Ancien Testament lorsqu’ils maudissaient Israël et jetaient sur lui l’anathème : nous en reproduisons plus loin quelques traits. M. Jaurès a préféré s’exprimer dans des termes presque poétiques, mais au fond sa pensée est la même que celle des principaux publicistes de son parti. Il estime avec eux que l’âme du paysan est endormie depuis des siècles, inconsciente, presque hébétée, et qu’il faudra longtemps pour la tirer de l’engourdissement où elle est tombée. Ces rénovations ne se font pas en quelques semaines, et il y faut plus d’un discours. Aussi M. Jaurès les multiplie-t-il. Il est comme Moïse frappant le rocher à coups redoublés, avec la différence que le rocher, au moins jusqu’ici, reste insensible et que la source en lui profondément cachée ne commence pas encore à couler. M. Jaurès a une profusion d’images pleines de magnificence pour donner à ses auditeurs la sensation de cet état particulier qui l’étonné, l’irrite, mais ne le décourage pas. Quelque lourde que soit la torpeur appesantie sur l’âme du paysan, il ne se juge pas incapable de la dissiper et il a bravement entrepris d’être l’enchanteur merveilleux qui réveillera cette autre Belle au bois dormant. Il compte pour cela sur son éloquence qui, répercutée par les mille échos de nos campagnes, secouera le paysan de son long sommeil et l’en fera sortir en sursaut. Il se trompe sans doute, et nous l’espérons bien. Il se trompe d’abord sur le paysan qu’il croit endormi, alors qu’il est parfaitement éveillé et avisé, et peut-être aussi sur sa rhétorique qui peut intéresser les lettrés, mais qui manque de la simplicité et, si on nous permet de le dire, de la bonhomie nécessaire pour faire impression sur l’homme des champs. À supposer d’ailleurs que M. Jaurès eût raison, et que les populations rurales fussent aussi arriérées d’esprit qu’il l’imagine, ce serait une raison de plus pour leur présenter des idées simples, nettes, facilement saisissables, et il s’en faut de beaucoup que tel soit le caractère de celles qu’il leur a servies ; c’est à peine si, avec une extrême attention, la Chambre a réussi à s’en rendre compte ; encore a-t-il fallu pour cela, surplus d’un point, la traduction de M. Deschanel. M. Jaurès, dans un des passages de son