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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/135

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AMARIA.

Oui, il nous a dit encore une chose. « Heureux, a-t-il dit, qui ne se tourmente pas à cause de moi ! » Cette parole, nous ne l’avons pas comprise.

JEAN.

Mais moi, je le comprends bien. Moi, pour qui il l’a prononcée. Je me suis tourmenté pour lui, car je ne le connaissais pas. Et mon tourment remplissait le monde, car je ne le connaissais pas. Vous êtes vous-mêmes les témoins que j’ai dit que je n’étais pas le Christ, mais que j’étais envoyé devant lui. Un homme ne peut rien prendre que ce qui lui est donné par le ciel. Et il ne m’a rien été donné. Les clefs de la mort, je ne les ai pas tenues ; les balances du péché ne m’ont pas été confiées ; qu’aucune bouche ne prononce le nom du péché, sinon la bouche de Celui qui aime ! Et moi, je voulais vous conduire avec une verge de fer ! C’est pour cela que mon pouvoir est tombé et que ma voix s’est tue. J’entends un grand frisson autour de moi, et la lumière sacrée m’enveloppe… Un trône est descendu du ciel avec des piliers de feu. Le Prince de la Paix y est assis en vêtemens blancs. Et son épée s’appelle « amour », et son cri de guerre est « pitié »…

(Il reste les bras étendus, les yeux vers le ciel, Manassé et Amaria tombent à ses pieds.)
VITELLIUS.

Mon cher, il me semble que nous en avons assez de ce fou.

HERODE, entre l’émotion et la moquerie.

Jean, je suis vraiment fâché pour toi. Et quand viendra Celui que tu annonces, je le saluerai comme je te salue… Ah ! ah ! ah ! ah !… Qu’on l’emmène !…

Je ne parlerai pas des personnages secondaires qui gravitent autour de cette grande figure, — car elle les efface. Aucun d’entre eux n’a beaucoup de relief, bien qu’ils soient suffisamment représentatifs pour le but de l’auteur. Ils luttent, selon leurs forces, pour la foi, pour la vérité, ou incarnent, comme Hérode, Hérodias et Salomé, les pires instincts de la nature humaine, les puissances secrètes du péché, du vice et du crime. Ils sont des exemplaires moyens de leur espèce : seule, Salomé les dépasse un peu, à force d’ingéniosité perverse, de malfaisante sérénité, d’astuce candide, de souriante cruauté. C’est bien la figure fatale, la « Guenon du pays de Nod » que tant de drames et de romans ont déjà décrite : mais ici, elle a une saveur orientale ou mystique qui la sauve de la banalité. Elle a, avec Jean, deux ou trois scènes bien jolies, — encore qu’elle s’explique un peu trop. — Il y a des momens où son regard descend trop profond dans les ténèbres de sa petite