Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/139

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jugurtha jusque dans les sables de Gafsa. C’était toujours le sol peu peuplé, inégalement arrosé, mais facilement accessible, que Salluste décrit en petites phrases courtes et malveillantes, comme il convient à un bel esprit de Rome qui s’ennuie dans son proconsulat d’Afrique.

L’Atlas, ici, cesse d’être une muraille. Il n’y a plus ni chaîne continue, ni hauts plateaux monotones comme en Algérie. La montagne se disloque, s’humanise, se fond avec la plaine ou forme des hauteurs isolées, qui s’élèvent de distance en distance sur un terrain parfaitement plat. Telles ces collines au noble profil, aux pentes complaisantes, que les peintres de l’école classique mettent dans les fonds de tableaux. Et réellement, ces belles vallées du centre, avec leurs larges perspectives, leur lumière douce, leur ciel tempéré, l’encadrement harmonieux de leurs horizons bleuâtres, semblent des tableaux auxquels il ne manque que la vie. On dirait l’œuvre inachevée d’un Claude Lorrain qui aurait oublié les personnages et les « fabriques ».

Cette disposition du sol produit une extrême variété d’aspects et de climats. Ce qui subsiste des derniers contreforts de l’Atlas forme autant d’écrans successifs qui abritent le pays contre les vents du nord-ouest. Sur le premier écran, au bord de la mer, on a des forêts aussi touffues, aussi belles que la forêt de Fontainebleau, et sur le second ou le troisième, tantôt les bois clairs et résineux de pins d’Alep, tantôt la simple brousse des pays d’Orient, tantôt l’aspect dénudé des montagnes de Grèce ou d’Asie Mineure. Naturellement le régime des vallées change selon que les pluies s’arrêtent ou passent sur les écrans interposés. Lorsque le vent d’hiver souffle du nord-ouest, les vallées voisines de la mer sont aussi bien arrosées que nos vallées de France. Celles de l’intérieur attendent que les premières aient bu et vivent de leurs restes. Mais il arrive aussi, — cette année par exemple, — que les pluies commencent par le sud-est, c’est-à-dire qu’elles prennent les écrans à revers ; alors l’arrosage est bien amorcé ; le pays tout entier boit cette rosée bienfaisante qui disparaît en un clin d’œil comme un verre d’eau dans un gosier desséché. En quelques jours, des plaines naguère arides s’habillent de verdure. Bien avisé le cultivateur qui aura fendu à temps le sol desséché et retenu l’eau fugitive dans des labours profonds !

La dislocation des montagnes produit encore des effets inattendus dont la prévoyance humaine peut tirer parti.