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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/280

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XI

Les pertes des assiégés devenaient chaque jour plus cruelles. L’intrépide amiral Istomine et Nachimoff (28 juin) succombaient sur le même bastion de Malakoff, également terrible aux assiégés et aux assiégeans, où déjà était tombé Korniloff. Mais plus la résistance semblait désespérée, plus elle devenait acharnée. Elle prenait de plus en plus un caractère religieux émouvant ; les soldats allaient au combat après avoir invoqué la sainte Vierge et saint Nicolas. Ils assistaient dévotement à tous les offices, que des prêtres célébraient pour eux dans les bastions. Pendant la semaine de la Passion, l’Evangile fut lu en présence de toute l’armée et la Pâque célébrée avec une ferveur extatique. Le bombardement redoublant de fureur, les croix, les images saintes ne parurent plus en sûreté dans la cathédrale, elles furent transportées dans une caserne blindée le jour de la Transfiguration ; les chants des prêtres répétés par la foule agenouillée étaient interrompus ou couverts par le fracas des bombes.

Pour ces braves, la prière était l’excitation au combat. Ils l’exigèrent de leur général qui le livra une dernière fois, quoique sans espoir. Il fit franchir la Tchernaïa à son armée (16 août) et la lança sur les trois divisions françaises, établies sur les monts Fedioukine. Victorieux un instant, il fut repoussé avec des pertes énormes : 8 000 hommes mis hors de combat.

Grâce à La Marmora, ce fut une honorable journée pour l’armée piémontaise. On avait voulu la placer en seconde ligne à Balaklava, où elle aurait eu à garder les dépôts et les magasins ; La Marmora avait obtenu la rétractation de cet ordre, et il était resté sur les hauteurs de Kamara, en première ligne, défendant l’extrême droite des alliés. C’est ainsi qu’il fut amené à prendre part à la bataille, à côté des Français. Jusque-là l’armée piémontaise n’avait pu faire montre que de son excellente organisation, de sa discipline, de sa constance à supporter le fléau ; à la Tchernaïa, quoique engagée en partie seulement, elle conquit l’estime des armées alliées.

Cette fois l’Empereur envoya aussitôt ses félicitations, en y glissant encore un mot de son plan favori : « La nouvelle victoire remportée sur la Tchernaïa prouve depuis le début de la guerre la supériorité des alliés sur l’ennemi lorsqu’il est en pleine