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peu à mesure que le climat devient moins rude et surtout l’été moins court. Les mélèzes, les sapins, les pins s’élancent alors tout droit vers le ciel, empêchant les rayons du soleil de venir jamais dessécher le sol toujours humide de la taïga ou forêt sibérienne. Les abords des rivières sont presque toujours couverts d’immenses marais dont les plus vastes sont ceux qu’on voit aux environs du confluent de l’Obi et de l’Irtych ; lors de la fonte des neiges, les inondations s’étendent à plusieurs dizaines de kilomètres des rives basses et mal définies. Le climat de cette zone est encore extrêmement dur, la moyenne de l’année partout inférieure à zéro, celle de l’hiver variant de — 20° à — 33°, mais la température de l’été est déjà de 14° à 15°, celle du mois le plus chaud de 17° à 18° ; la saison des fortes gelées ne dure plus que sept mois au lieu de huit à neuf. Néanmoins le sous-sol est à peu près partout éternellement gelé, l’agriculture n’est possible que dans les endroits particulièrement bien exposés et exige beaucoup de soins. Il est évident que cette zone uniquement forestière qui couvre six millions de kilomètres carrés, la moitié de la Sibérie, tout en étant incapable de nourrir jamais une population dense, a déjà une valeur tout autre que la région polaire : malgré l’emploi croissant du fer dans les constructions et du charbon comme combustible, l’humanité a grand besoin de bois et les réserves dont elle dispose vont s’épuisant rapidement. Si l’on parvient à empêcher que les forêts sibériennes soient soumises au même régime d’exploitation barbare ou plutôt de dévastation que celles de l’Amérique du Nord, le monde entier viendra peut-être au siècle prochain s’approvisionner chez elles. En outre, il existe au milieu de ces grands bois des gisemens aurifères très importans près de l’Iénisséi et surtout dans le bassin de l’Olekma, tributaire de la Lena, où ils sont dès aujourd’hui très fructueusement exploités. Aussi est-on en droit de penser que ces six millions de kilomètres carrés, couverts aujourd’hui de forêts et de marécages, pourront faire vivre quelque jour un nombre d’hommes beaucoup plus considérable que les 650 000 à 700 000 habitans, moitié russes et moitié indigènes, qui s’y trouvent maintenant.

Si, de l’étendue totale de la Sibérie, nous retranchons les quatre cents millions d’hectares de toundras et les six cents millions d’hectares de forêts, il reste quelque deux millions et demi de kilomètres carrés, qui constituent la zone cultivable, la seule