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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/479

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de l’opération ne nous est pas indifférent. L’Angleterre étend déjà l’ombre de sa longue et large main sur un morceau choisi du Céleste Empire : un pareil fait mérite réflexion. Tel a été le sentiment de la Russie, et à son tour elle s’est empressée de faire connaître au Tsong-li-yamen ses propres desiderata. Si l’Angleterre détermine le champ de ses intérêts au centre de la Chine, il n’y a rien que de naturel à ce que la Russie fasse de même au nord, sans parler de la France au sud. Depuis plusieurs années déjà, la Russie développe son influence et son action dans la Mandchourie. Elle en a besoin pour la sécurité de son chemin de fer transsibérien. Mais, pour ce chemin de fer, il lui faut avant tout un point d’aboutissement dans les eaux chinoises. Les derniers événemens lui ont fait jeter son dévolu sur Port-Arthur. Elle y est ; nous serions surpris qu’elle n’y restât pas. Elle y a envoyé ses navires le lendemain même du jour où les Allemands avaient débarqué à Kiao-Tchéou. Cette quasi-simultanéité dans les mouvemens indiquait déjà un parti pris d’imitation. Le gouvernement russe a fait savoir que ses navires n’étaient à Port-Arthur qu’à titre provisoire ; mais il pouvait croire alors que les Allemands étaient au même titre à Kiao-Tchéou. Le jour où il a appris qu’ils y étaient pour quatre-vingt-dix-neuf ans, il a dû modifier ses intentions premières, et il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il veuille prolonger dans les mêmes conditions son installation dans le golfe du Petchili. On annonce de plus qu’il demande à la Chine la cession à bail du port de Ta-lien-Wan. Nous ignorons ce que fait, de son côté, notre gouvernement ; mais il serait imprévoyant s’il s’abstenait absolument. Il n’a rien à prendre pour le moment, sinon des garanties pour l’avenir. Nous aussi, nous avons intérêt à ce que certaines parties du territoire chinois, celles qui confinent au Tonkin, ne tombent pas un jour dans d’autres mains que les nôtres. Tout cela est assez délicat à demander au gouvernement de Pékin. On le traite un peu comme un malade à qui des collatéraux dictent un testament, opération toujours désagréable à subir. Mais ce n’est pas nous qui avons commencé. Et puis, faire son testament n’a jamais tué personne : il y a même des gens qui vivent ensuite avec plus de tranquillité.

Une autre crainte vient à l’esprit au sujet de la Chine. Elle a fait son emprunt de 400 millions de francs pour être à même de payer au Japon l’indemnité de guerre fixée par le traité de Simonosaki. Le Japon détient un gage, Weï-Haï-Weï, à peu près comme le Sultan détient et occupe encore la Thessalie. Quand le Sultan aura touché les premiers versemens de l’indemnité de guerre que lui doit la Grèce,