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Vers 1860, une grande surexcitation régnait dans tous les centres ouvriers. Mais nulle part les Unions ne se montraient plus agressives et plus tyranniques que dans la ville de Nottingham, où Mundella était sheriff et grand industriel. M. le Comte de Paris, dans son livre les Associations ouvrières en Angleterre, dépeint ainsi la situation : « Depuis bien des années, l’industrie de Nottingham souffrait cruellement. Les ouvriers, mal payés, achetaient à des prix exorbitans l’usage des métiers appartenant aux patrons, pour lesquels ils travaillaient à domicile. L’introduction des machines, qui menaçaient de réduire encore leurs salaires, en faisant concurrence à cette industrie casanière, amena l’explosion. Comme presque toujours en pareil cas, c’était le moment où les maîtres, à peu près ruinés eux-mêmes, étaient le moins en mesure de faire des concessions à leurs ouvriers. Le résultat fut non pas une grève, mais une véritable insurrection. Réunis la nuit en conciliabules secrets, les ouvriers déclarèrent la guerre aux nouvelles machines et formèrent des bandes armées pour les détruire. Toutes les manufactures furent attaquées, plusieurs pillées ou brûlées ; la contagion s’étendit aux comités voisins et bientôt les luddistes (nom emprunté par ces bandes à l’un de leurs chefs) exercèrent leurs ravages sur la plus grande échelle. Pendant six ans, ils reparurent à certains intervalles, malgré l’exécution de la plupart de leurs chefs.

« La répression fut inexorable… et la peine de mort fut décrétée contre quiconque serait convaincu d’avoir brisé un métier… et ce n’était pas une vaine menace, car, dans une seule année, on pendit 17 luddistes[1]. »

Mais ces exécutions, en arrêtant les désordres, n’avaient pas étouffé les passions qui les inspiraient et les Trade-Unions de Nottingham se considéraient presque comme les vengeurs des luddistes. De 1825 à 1860, elles fomentèrent des grèves incessantes et la misère devint telle qu’à certaines époques on constata que la moitié de la population vivait de l’assistance publique.

Mundella, dans sa déposition lors de l’enquête parlementaire de 1867, a fait un tableau effrayant de ces grèves : il en souffrait plus que tout autre, car elles affectaient gravement ses intérêts comme industriel, et en qualité de sheriff de Nottingham il était sans cesse obligé d’intervenir dans les conflits entre ouvriers et

  1. Les Associations ouvrières en Angleterre, par M. le Comte de Paris, p. 30.