Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/622

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terrain des hypothèses, et si, sous prétexte de faire de la littérature en savant, il n’avait fait principalement de la science en littérateur.

À ce point de vue, la préface de l’Ami des femmes contient déjà quelques morceaux d’une contexture étrange : l’astrologie et la chiromancie s’y amalgament familièrement à l’anatomie elle-même. Rappelez-vous le portrait de M. de Montégre, l’homme fatal, ou celui de M. de Ryons, « dont les planètes dominantes sont Jupiter, Apollon et Mercure. » Rappelez-vous surtout le signalement de la vierge dont il importe de se garder, « l’animal » redoutable, dont « les mains sont courtes avec des doigts pointus, à base large, et le mont du pouce énorme, couvert de lignes transversales en forme de grilles, et légèrement pourpré », animal du reste « plus implacable encore quand les doigts sont spatules, et que le pouce, court, s’arrondit en forme de bille. » Il y en a comme cela deux longues pages, où le corps du terrible sujet est analysé point par point, avec une minutie baroque qui ne nous laisse ignorer ni la dilatation des narines, ni la couleur des gencives, ni la hauteur du mollet, ni « l’arôme » exhalé de l’ensemble, et où se retrouve « cette odeur de boue qui caractérise le véritable vin de Chypre ». — A partir de 1869, la tendance de l’auteur à des digressions de cette nature, — heureusement plus atténuées, d’ordinaire, — va se manifester presque partout et sans cesse, et nous en verrons la trace jusque dans les pièces de théâtre.

En même temps qu’il cultivait la physiologie, Alexandre Dumas fils lisait les livres sacrés et s’imprégnait éperdument de leur lyrisme. Cette étude de l’Ancien et du Nouveau Testament rentrait, elle aussi, dans l’ordre de ses préoccupations coutumières. Il essaya, à diverses reprises, d’en tirer des argumens en faveur de ses thèses ; il en tira plutôt des effets de style, où se complaisait l’exubérance de son imagination, et où il combinait, avec une audace et une verve déconcertantes, les expressions du plus pur argot du boulevard et les métaphores du langage le plus apocalyptique. Quelle que soit l’opinion que l’on professe sur cette « écriture » composite, elle est en tout cas originale et infiniment troublante ; et elle répond bien à « l’état d’âme » de l’écrivain, au moment où il s’engagea sans réticences dans cette voie de l’apostolat, devant laquelle il hésitait depuis des années. Subitement emporté par les événemens tragiques de l’invasion, il entra d’ailleurs dans