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de certains prétendus progrès. En donnant à la femme toutes les libertés, tous les droits, tous les pouvoirs, il se figurait dès lors résoudre d’un seul coup le problème ; en réalité, il en abandonnait la solution ; la conclusion dosa brochure se réduisait implicitement à ceci : « Je n’ai pu organiser la famille et la société sur les bases que j’avais rêvées ; la femme continue à se plaindre. Accordons-lui donc ce qu’elle veut, tout ce qu’elle veut, plus même qu’elle ne veut. Déclarons-la absolument l’égale de l’homme. Délivrons-la. Après quoi, qu’elle se tire d’affaire toute seule, et comme il lui plaira. Je ne m’en occupe plus. » — Où étaient les grands projets relatifs à « la reconstitution de l’amour », à « l’utilisation du cœur des femmes », à « la conscription » qui devait les « rallier à l’action commune », et leur « assurer un métier », sous la protection active de la loi et la haute surveillance de l’État providentiel ? L’inventeur de ces merveilleuses panacées paraissait sur le point de ne plus beaucoup y croire.

Ce qui acheva de lui dessiller les yeux, ce fut le spectacle des résultats acquis par la loi du divorce, dès les trois ou quatre premières années qui suivirent sa promulgation. Les faits répondaient par une négation brutale aux affirmations prophétiques du moraliste. Or, son intelligence avait pu être souvent faussée par une propension à l’illuminisme le plus hasardeux ; mais il était pourtant d’esprit trop ouvert pour que l’illusion persistât en dépit de l’évidence ; il comprit son échec, et il en conçut une infinie tristesse : « Depuis 1883, écrivait-il en 1890, il me semble que j’ai vécu les années doubles, triples, que j’ai cent ans de plus, et nombre de choses que j’envisageais et discutais alors avec une ardeur qui eût pu me faire passer pour un tout jeune homme, un peu naïf, m’apparaissent maintenant, sinon sous une autre forme, du moins sous une autre couleur. » Ces choses qui lui apparaissaient ainsi « sous une autre couleur », c’était le divorce, qu’il reconnaissait n’avoir servi à rien ; c’était la protection légale de la jeune fille et de la femme, qu’il considérait comme une chimère ; c’était la recherche de la paternité, qu’il avouait impossible, et d’ailleurs inutile, et qu’il proposait modestement de remplacer par une loi sur le rétablissement des tours. A partir de 1885 ou 1886, on le voit s’immobiliser de plus en plus dans une attitude de découragement morne et de pessimisme ironique ; les interviews ou les lettres éparses dans les journaux, les commentaires