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ne le remuent lui-même que médiocrement. C’est comme si le grand dramaturge, pour avoir, dans sa vie, trop imaginé de ces situations violentes, trop développé de ces tragiques conflits, n’avait plus eu, cette fois, le courage de faire l’effort qu’il faut pour se mettre à la place de ses personnages, pour se congestionner consciencieusement sur leur cas, pour se représenter leurs émotions et trouver des phrases qui les expriment avec quelque précision et quelque force. Il y a, dans Paméla, comme un détachement fatigué à l’égard de ce qui est pourtant la partie la moins insignifiante de l’invention dramatique : les sentimens, les passions, les mouvemens des âmes.

La dextérité de M. Sardou reste d’ailleurs surprenante, et j’aime cette dextérité pour elle-même. — J’aurais voulu sans doute que la politique et les intrigues de Barras fussent un peu plus poussées (je songe à Bertrand et Raton ou à Rabagas) : tel qu’il est, néanmoins, le Barras de M. Sardou ne me déplaît point. C’est un fantoche, soit ; mais beaucoup d’hommes de la Révolution ont peut-être été des fantoches, et je ne vois pas d’époque où la disproportion ait paru si grande entre les hommes et les événemens. Et je garde un faible pour Paméla, figure facile, mais très bien venue, d’une gentillesse, d’une gaîté, d’une bravoure et d’une sensibilité si « bonnes filles ». — Mme Réjane s’est montrée vivante dans ce rôle, avec de la crânerie, de la belle humeur et de la tendresse. Et M. Huguenet a dessiné avec une mesure très fine la silhouette légèrement caricaturale de Barras.


M. Alfred Capus continue de s’« affirmer » comme un réaliste de beaucoup d’esprit et de beaucoup d’observation à la fois, et comme le meilleur spécialiste que nous ayons de la « comédie de l’argent ». Il connaît très bien le personnel de cette comédie-là, surtout le personnel inférieur, qui en est aussi le plus pittoresque : coulissiers marrons, agens de publicité, entrepreneurs d’affaires vagues, ou d’affaires précises, mais un peu osées. Dans Mariage bourgeois, Piégois, directeur de Casino, — ou tenancier de tripot, comme il s’appelle lui-même, — est un type singulièrement vivant de forban cordial et de canaille bon enfant, et qui mérite de rester dans la mémoire tout autant que le visionnaire Brignol, de Brignol et sa fille.

Une « comédie de l’argent » est, naturellement, une comédie qui en fait voir la funeste puissance, et les lâchetés et les vilenies auxquelles l’argent plie les âmes. Elle est donc, d’une part, pessimiste et satirique. Mais, naturellement aussi, — et à moins d’un parti pris amer, comme celui de Lesage dans Turcaret, — l’auteur est amené à nous montrer,