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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/786

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par la garde nationale, il s’assurerait la force nécessaire pour prévenir leur révolte contre sa souveraineté. En réalité, ces réformes étaient les moins utiles à la masse de la nation. Qu’importait cette liberté de la presse aux paysans et aux ouvriers trop incultes et trop pauvres pour faire des journaux, les rédiger, ou même les lire ? Qu’importait à la majorité des Français un régime représentatif où le droit de voter était réservé à une minorité de censitaires et le droit d’être élu à une minorité plus restreinte encore ? Qu’importait à la multitude une garde nationale dont les armes étaient confiées seulement à cette minorité ? Et il n’y avait chez ceux qui se disaient les défenseurs du peuple aucun désir d’amener jamais, par la culture des intelligences et l’extension des suffrages, tout le peuple à l’exercice de ces droits et au partage de cette souveraineté. De même que, parmi les libertés, ils avaient choisi quelques-unes et ignoraient toutes les autres, ils avaient dans la nation adopté une classe, la bourgeoisie instruite et riche : le reste du pays était comme s’il n’existait pas. Les plus hardis se refusaient à prévoir le jour de « la vile multitude ». Les plus généreux ne songeaient pas à fixer les devoirs de cette minorité, à jamais tutrice, envers l’enfance sans fin de la foule. Les plus prudens ne s’effrayaient pas de fonder cet ordre de privilège et d’égoïsme sur la soumission d’une majorité que ses maux, son abandon et sa force vouaient à d’inévitables révoltes. Telles furent les revendications qui allaient devenir pour le XIXe siècle l’évangile du parti libéral. Seules, d’un bout de l’Europe à l’autre et dans les pays les plus divers, elles retentissaient partout identiques, excluant de cet effort vers la liberté la liberté même, substituant à l’intelligence logique des réformes un choix avare, arbitraire, et à l’épanouissement spontané des programmes, la discipline d’un mot d’ordre.

L’étrangeté de la doctrine s’expliquait par la composition du parti. Recruté surtout dans les carrières libérales, le commerce, la jeunesse, il était généreux d’imagination, pauvre d’expérience, amoureux des mots : les vieux gestes d’absolutisme chez les princes, tout indice de hauteur aristocratique chez les nobles, tout soupçon d’intolérance religieuse chez les prêtres, excitaient en lui des irritations d’épiderme, et, sans haines contre les gouvernemens, il n’aspirait qu’à obtenir d’eux respect pour son attachement sincère et vague aux principes de 1789. Mais, confondus avec lui, les survivans des assemblées révolutionnaires,