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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/810

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et passif, apparaissait moins visiblement sa propre force que la force de l’Etat, ces avares faveurs de l’autorité avaient mêlé à leurs maigres avantages un grand mal. Le prêtre ne trouvait plus les respects qui avaient salué ses épreuves sous la Révolution et sous l’Empire. Il semblait que l’indépendance envers Dieu fût de l’indépendance envers le gouvernement. Tous les adversaires des Bourbons s’étaient trouvés les adversaires de l’Eglise. La jeunesse, les esprits frondeurs étaient entraînés par une illusion de courage vers l’incrédulité. Le scepticisme gagnait les classes instruites, la bourgeoisie, la noblesse même. Les constantes rééditions de Voltaire et de Rousseau attestaient combien l’irréligion faisait d’adeptes ou, tout au moins, de curieux. Les communions pascales, cette mesure certaine de la piété ou de la tiédeur, allaient diminuant et se trouvaient en 1830 beaucoup moins nombreuses que sous l’Empire. Les apparences de privilège, loin de fortifier le catholicisme, l’avaient rendu suspect. L’Eglise déclinait non seulement malgré elles, mais par elles. Ces faveurs avaient suffi pour éveiller les scrupules d’un peuple que l’ombre même d’une contrainte en matière religieuse irrite. Ce qui avait été accordé à l’Eglise, superfluité pour les croyans, était un scandale pour les incrédules ; ce qui lui avait été refusé est l’indépendance qui lui eût permis de s’attacher ses fidèles sans fournir de grief à ses adversaires. Par son entente avec les Bourbons, elle avait pris une part de leur impopularité et leur avait donné une part de la sienne, faisant avec eux un échange de faiblesse.

Dans leur commun désastre, elle demeurait la grande victime. Il suffisait à la royauté vaincue de gagner une frontière pour entrer dans la sécurité de l’exil, dans la justice de l’histoire, dans la paix des choses mortes. Mais l’Église ne pouvait ni suspendre, ni transporter sa vie. Elle restait seule en face des colères soulevées contre elle et contre la monarchie, elle allait expier pour deux, connaître les longues représailles ; elle allait, épreuve des épreuves, souffrir de souffrances stériles pour sa cause, recueillir la moisson des épines dans ses champs désolés.


ETIENNE LAMY.