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également maître de la baie de Cancale, du fort de Châteauneuf, et, par suite, du Clos-Poulet qui devait servir de camp retranché aux troupes de la Rouerie, dans le cas, fort improbable, d’un échec.

Chévetel partit pour Liège, où le Comte d’Artois l’accueillit dès son arrivée ; admis sur le pied de l’intimité, à la cour aussi précaire que turbulente dont s’entourait le prince exilé, il fut traité en héros par tous les royalistes dont le complot breton représentait le dernier espoir ; ses journées se passaient dans les antichambres du palais épiscopal qu’habitait le Comte d’Artois, il était reçu en audience privée, servait de confident à tout le monde ; comment parvint-il, sans se trahir lui-même, à mener une si vaste intrigue ? Par quel moyen arriva-t-il à tromper tant de gens que le malheur avait dû rendre soupçonneux, à entretenir une correspondance suivie avec la Rouerie, avec Danton, avec Calonne ? C’est un problème dont il ne nous a pas livré la solution : toujours est-il qu’il apprit bien des choses. Il assurait plus tard, — et ce fait trouva place dans son rapport au ministre, — avoir vu vivant et bien vivant, chez M. de Vaudreuil, le marquis de Favras, pendu trois ans auparavant sur la place de Grève ! Chévetel se laissa conter « que sous prétexte de rendre le supplice plus apparent, on avait donné à la potence une hauteur extraordinaire ; qu’on mit au cou du condamné un collier de fer, réuni à ses pieds par des lanières de cuir, de sorte que la corde ne serra point » ; et voilà pourquoi les parens du supplicié s’étaient tant hâtés de décrocher le corps et de l’emporter.

Pendant les trois semaines qu’il passa à Liège, Chévetel s’occupa à dresser une liste des émigrés qu’il envoya à Danton « avec quelques renseignemens et quelques détails », note-t-il ingénument : s’il dressait des tables de proscription et de mort, c’était à seule fin de charmer ses loisirs, car le Comte d’Artois l’avait invité à ne point quitter la ville avant le retour de Calonne, en l’absence duquel on ne pouvait rien décider. Mais comme celui-ci ne paraissait pas, comme on apprit bientôt que ses créanciers le gardaient en surveillance à Londres et se refusaient à ce qu’il quittât l’Angleterre, il fallut bien se passer de ses lumières.

Le Comte d’Artois reçut donc, une fois de plus, Chévetel et tous deux tinrent conseil : le Prince approuva pleinement le plan d’insurrection projeté et la date du 10 mars indiquée pour la prise d’armes : il ne refusait pas, en principe, d’aller se joindre aux Bretons quand le moment d’agir serait venu ; mais « il ne