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véritablement bonnes, et vaudront leur prix. Votre situation plus favorable peut et doit vous servir à relever par des œuvres plus parfaites le sens du beau, le goût pour tout ce qui est sincère, et vraiment adapté à son objet. — Vous pouvez même aller plus loin dans votre effort, vous approcher plus encore, dans la pratique, de l’idéal de l’avenir. Vous pouvez organiser votre travail de telle sorte, qu’il ne demeure pas plus longtemps une pure nécessité de conservation, mais qu’il devienne en même temps une jouissance pour vous-mêmes. Quand la faim et la misère n’assiégeront plus votre porte, vous pourrez vous abandonner sans réserves à l’instinct qui vous porte à tirer, des matières premières fournies par la nature, l’image visible de la beauté. »

Un dernier problème se pose devant ces socialistes modèles, avant qu’ils se décident à accepter le don de l’usine. Ne risquent-ils pas de devenir, avec le cours du temps, de véritables entrepreneurs à leur tour, c’est-à-dire des capitalistes et des exploiteurs d’autrui, comme cela s’est vu dans le passé pour nombre d’associations fondées avec les mêmes intentions que la leur ?

— Nous saurons, répond l’un d’eux, persévérer dans la bonne voie. « Si la moindre amélioration de notre sort devait faire de nous des conservateurs, il faudrait nous abstenir de tout effort, nous désintéresser de tout progrès. Mais, au contraire, une satisfaction première ne fera que nous encourager à conquérir pour tous la liberté entière et sans nuages. » Streng appuie cette manière de voir. « Nous n’avons pas à craindre ce danger d’endurcissement, car la concurrence du marché du monde, à laquelle nous demeurerons soumis comme producteurs, nous rappellera sans cesse que des millions de nos frères gémissent encore sous le joug, et que nous leur devons la meilleure part de nos efforts. »

On devine qu’après sa conduite généreuse, Freeman n’aura pas de peine à obtenir la main de Flora. La fête du premier Mai se termine par un hymne d’allégresse et d’espoir.

Telle est cette œuvre, intéressante, parce qu’elle aborde tous les problèmes qui se posent aux socialistes de bonne foi. Son optimisme intrépide, qui exclut la lutte et même la discussion entre les graves intérêts qui sont mis en présence les uns des autres, devait nécessairement la priver de tout mouvement dramatique : il lui prête en revanche une teinte poétique qui n’est