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été admise à prononcer ses vœux ; elle se nommait Scanud Haroï, devenue Agnès au baptême, et brûlait d’entrer dans la vie religieuse ; mais le caractère inconstant de la race empêche généralement que ces sortes de vocations soient encouragées. Les obstacles les plus rudes furent donc opposés à Scanud Haroï ; elle les surmonta tous, puis elle mourut, ayant obtenu comme grâce suprême de quitter ce monde en habit d’Hospitalière de la Miséricorde. Au-dessous du très joli reliquaire qui la rappelle se trouvent les tibias entre-croisés du pauvre père Lalemant, dont un tableau placé dans le corridor retrace l’épouvantable martyre. Pendant l’hiver de 1649, une armée d’Iroquois massacra la nation huronne qui était devenue chrétienne. Ces terribles ennemis du christianisme et de la France s’étaient emparés en même temps de deux Jésuites, les pères de Brébeuf et Lalemant, pour lesquels, dans leur haine contre les robes noires, ils inventèrent des supplices nouveaux. Le père de Brébeuf était un géant parmi les missionnaires, un de ces gentilshommes normands athlétiques comme aimait à les peindre Barbey d’Aurevilly, sous les traits d’un abbé de la Croix-Jugan. On lui suspendit au cou un collier de haches rougies au feu, on l’enveloppa d’une ceinture de résine enflammée, on baptisa d’eau bouillante sa tête scalpée, on tailla sur lui des morceaux de chairs grillées et dévorées en sa présence, sans parvenir à lui faire pousser un cri. Jusqu’au bout, d’une voix ferme, il encouragea les malheureux Hurons qui partageaient ses souffrances. Quand on lui eut coupé la langue et enfoncé un fer rouge dans la bouche, il bénissait encore par signes, impassible toujours. Les Iroquois stupéfaits finirent par voir en lui un être surnaturel, ils lui arrachèrent le cœur et le mangèrent entre eux pour se pénétrer de son courage. Un buste d’argent envoyé de France par la noble famille de Brébeuf renferme aujourd’hui le crâne du martyr.

Dans la salle de communauté il y a quelques portraits intéressans, entre autres celui de la mère Duplessis de Sainte-Hélène, fille d’un trésorier au département des finances. Elle est en Sainte-Hélène impératrice, portant la croix : c’était une personne spirituelle et lettrée, qui, élue supérieure en des temps difficiles, s’acquitta noblement de sa tâche, imposant le respect aux Anglais victorieux. Mais il semble que la défaite de la France lui ait brisé le cœur. En vain le général Murray l’obligea-t-il à accepter les soins du plus habile chirurgien de l’armée, rien ne put la