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canadiennes dont l’unique but était de porter partout le baptême, car la civilisation qu’on leur proposait en même temps devenait vite fatale aux sauvages. Quand elle se montra le plus clémente, elle ne servit qu’à supprimer de fait ces êtres primitifs indissolublement liés au sort des grands bois et incapables de vivre ailleurs. Aujourd’hui encore, malgré les croisemens avec la race blanche, ce trait caractéristique subsiste à peine atténué. Aux Etats-Unis les écoles indiennes de Hampton et de Carlisle semblent parfois réussir à tirer du Peau-Rouge l’étoffe d’un futur citoyen américain, mais en Canada les qualités d’origine résistent à toute culture. On me parle d’un métis qui, après des années d’études dans quelque séminaire, répondit lorsqu’on l’interrogea sur ce qu’il voulait faire : « De la viande, » c’est-à-dire chasser. La chasse se mêle toujours à l’idée qu’ils conçoivent de la félicité éternelle. Et qu’y a-t-il de plus païen au fond que ce mystère même de leur existence inséparable de la forêt ? Mais ce n’était pas la vie d’ici-bas que voulait leur assurer, en échange de leur propre martyre, le zèle ardent des missionnaires ; c’était le ciel. Le peu de prix qu’on attachait alors à l’existence humaine éclate dans tous les récits, se manifeste dans tous les événemens.

À cette sublime insouciance s’ajoute le plus souvent un désintéressement sans égal. Je ne parle pas du clergé seulement ; la même foi vive anime, sous son impulsion sans doute, un grand nombre de laïques. Ici, à Sillery, on ne peut s’empêcher de penser au sieur de Maisonneuve qui s’arrêta sur cette plage avant d’aller fonder Montréal dont il fut le premier gouverneur. Il était parti comme représentant d’une association toute religieuse, parmi lesquels comptaient M. de la Dauversière, receveur des tailles à la Flèche, mauvais administrateur au demeurant, et M. Olier, le père des Sulpiciens. Aucun but d’ambition personnelle ne le pousse, il se déclare prêt à donner pour une grande entreprise de civilisation tous les biens qu’il possède au monde, sans autre récompense, ce sont ses paroles, « que celle de servir Dieu et mon roi dans les armes que j’ai toujours portées. » Avec ce pieux gentilhomme champenois et les quelque cinquante hommes, laboureurs et soldats, qui l’escortaient, était partie une courageuse fille, née en Champagne elle aussi, Mlle Mance. Grâce aux largesses de la veuve d’un surintendant des finances, Mme de Bullion qui, de Paris, la protégeait, Mlle Mance devait créer l’Hôtel-Dieu de Montréal desservi aujourd’hui encore par les sœurs de Saint-Joseph,