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mettre l’une sur l’autre des idées avec des pierres, prenez garde aux demi-savans, héros du jour, car leur science est en train de se substituer à votre art, et je dis que leur science n’est pas vraie parce qu’elle n’est pas belle. C’est là, croyez-le bien, le définitif critérium ; et c’est aussi un des côtés, mais peut-être des moins connus, de cette fameuse faillite de la science, dénoncée naguère ici même. J’entends bien dire qu’elle n’est que provisoire, cette faillite, qu’il y a malentendu, que tout s’arrangera sur notre dos d’artistes et de croyans… et que la science sera un jour, à elle seule, l’art, la morale, la vertu et tout le reste. Oui, peut-être, si la science future n’est pas seulement la science des choses, mais aussi la conscience de l’être ; car alors elle refera du rêve, de la foi, de l’art, c’est-à-dire de l’idéal, c’est-à-dire Dieu. Et autour de Dieu, recommencera l’humaine architecture. Sinon — et il n’y a peut-être rien à faire contre certaines fatalités historiques — je conclurai avec plus d’énergie qu’hier, et avec la même tristesse, que ce jour sera la fin de l’art, et que la première victime du système sera l’architecture, premier des arts. Une société scientifiquement organisée, du moins telle que l’imaginent ceux de nos réformateurs sociaux qui sont sincères et logiques, ne comportera ni temple pour un Dieu, ni palais pour un roi, ni maison pour un riche. Est-ce cela qui fera faire de l’architecture, et qui refera des architectes ? Tout au plus verra-t-on émerger encore de la monotonie des toits, dans nos villes régularisées, ennuyeuses et bêtes, une caserne, une gare et un hôpital, la force, le bruit, et le mal ! Et voici que déjà, dans la houleuse forêt des intérêts et des passions, au lieu d’être un temple, la maison commune du peuple est une gare ! Tout le monde part pour quelque chose, bien peu avec de l’amour au cœur et de la joie aux yeux ! Et toutes les gares se ressemblent dans tous les pays, pareilles et banales dans leur grandeur béante, et leur utilité affreuse. Il n’y a aucune différence entre la gare de Paris et celle de Berlin. A quand la disparition des dissemblances fécondes entre les idées, les rêves, les gloires, et les espérances des deux villes, des deux peuples ? Et ceci encore est fatal, puisque aux mêmes nécessités matérielles correspondent les mêmes portées, et qu’aux mêmes portées il faut les mêmes matériaux. Et, malheureusement, hors de la différence des goûts, des besoins et des mœurs, il n’y a plus de style ; hors de la divergence des rêves personnels, il n’y a plus d’artiste !

Mais l’artiste, me répondra-t-on, se refera ouvrier, comme