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de soie noire, sa petite pèlerine, ses manches étroites et son bonnet de dentelles orné de nœuds tremblans, elle semble un portrait d’aïeule, s’animant pour revivre la lamentable épopée que lui a si souvent contée son père : du bout de sa canne elle indique : « Grand’mère était là ; ma tante Agathe pleurait dans ce coin ; l’homme entra par cette porte… » De temps en temps, elle lève vers le portrait du marquis un regard respectueux et presque tendre : celui-là est resté le héros, le chef, l’hôte, celui pour lequel on donnait sa vie. Et la noble dame n’a, pour sa mémoire, qu’indulgence et admiration, étant bien de la race glorieusement obstinée de ces gentilshommes qui restèrent fidèles à la foi jurée jusqu’au sacrifice et jusqu’à la mort.


VII. — LA FOSSE-INGANT

De Lamballe, Lalligand, dans l’ivresse du succès, adressa le soir même au ministre un récit de son expédition à la Guyomarais. Le lendemain il s’occupa d’envoyer à Rennes ses prisonniers, car il redoutait l’intérêt que leur sort excitait à Lamballe où ils étaient depuis longtemps connus et aimés. Il grossit leur nombre de trois nouvelles victimes, arrêtées la veille : M. de la Vigne-Dampierre, accusé d’être des amis de la Guyomarais, et d’avoir séjourné à Paris à l’époque du 10 août ; un perruquier nommé Petit ; et M. Micault de Mainville, frère de Mme de la Guyomarais.

Lalligand requit une escorte de trois gendarmes et de douze volontaires, ordonna le départ pour onze heures du matin, pourvut à tout, et ne prit le temps de respirer que lorsqu’il eut vu ses victimes, convenablement enchaînées, s’éloigner sur la route de Rennes. Aussi infatigable que vantard, il glissa aux commissaires, sous le plus grand secret, « qu’il allait courir vers de nouveaux exploits, et, qu’avant peu, on entendrait encore parler de lui ». A onze heures et quart, il montait en berline avec l’ami Burthe et se dirigeait vers Saint-Servan.

Le 9 mars il est de retour à l’auberge du Pélican et il écrit de là au ministre cette lettre dont il faut textuellement citer les termes, car elle peint le personnage :

Me voici de retour à Saint-Servan… J’attends Chévetel pour porter le coup de la mort au parti aristocrate.

Depuis cinq jours je veille, je cours, je fais arrêter, je fais des procédures, des saisies, ma conduite sera celle de l’homme qu’il faut à la république…