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secrètement à ses chefs son petit rapport quotidien : il avait décidément conçu une assez médiocre opinion des deux personnages objets de sa surveillance, on en jugera par ce rapport daté de Laval :


Nous voilà au milieu de notre convoi, prenant toutes les mesures pour les loger sûrement ; jusqu’ici cela marche assez militairement. Nous n’avons pas été sans embarras hier à l’arrivée à Vitré. Ici beaucoup de spectateurs mais plus de douceur.

Il est malheureux d’être obligé de fournir des soupçons sur des infidélités qui portent sur des intérêts particuliers de la part de mon second (Lalligand). Une malle prise à Rennes, voyageant avec nous et dont j’ignore le contenu, me donne des soupçons, elle est lourde ; on dit qu’elle appartient à Chévetel : que veut dire cela ?

Je crois que tu feras fort bien d’amener à l’endroit où tu nous rejoindras et qui sans doute sera Versailles, un homme pris parmi les agens de ta police. Il faudra qu’il soit intelligent et surtout que mon second ignore que tu l’as amené.


A Mayenne, à Pré-en-Pail, à Alençon, à Mortagne, à Verneuil, où l’on coucha les jours suivans, les manifestations hostiles ou sympathiques se renouvelèrent, mais avec assez de calme. A Dreux, au contraire, où l’on arriva dans l’après-midi du 19 avril, la foule se montra menaçante ; entassée devant l’auberge où séjournaient les Bretons, elle proposait de donner l’assaut et de les massacrer sur l’heure. Lalligand n’osant mettre sa troupe en contact avec cette population surexcitée, pria les dames Desilles de se montrer à la fenêtre : dès qu’elles parurent, le tumulte cessa : il y eut un murmure aussitôt perdu dans un grand silence : « Elles sont pourtant bien jeunes pour mourir, chuchotaient les spectateurs… » A mesure qu’on approchait de Paris, les prisonniers exténués, à demi morts de fatigue et d’émotions, voyaient croître l’exaltation populaire et leurs angoisses s’en augmentaient ; s’ils n’étaient pas massacrés en route, ils prévoyaient que leur supplice suivrait de près leur arrivée, et ils en étaient à souhaiter qu’un coup de colère de la population leur évitât les longs apprêts de l’échafaud et la lente horreur de la guillotine.

Les dernières étapes furent courtes : le 20 on couchait à Pontchartrain et le lendemain, vers midi, après avoir suivi l’avenue de Saint-Cyr et passé au pied des terrasses du château royal dévasté et désert, le convoi entra dans Versailles par la grille de l’Orangerie.

Dès la barrière ce furent des vociférations et des huées : les