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sujette à tant de hasards, c’est à Albi qu’elle devait se rencontrer. Mais M. Jaurès, dans le premier entraînement de la lutte, avait promis autre chose à ses Carmausins, jusque-là si fidèles. Il a trompé leur confiance, cette confiance qui leur avait déjà coûté si cher, qui avait condamné tant de familles à la douleur et à la privation, et qui, après s’être élevée jusqu’au sublime du genre, devait naturellement se convertir en colère et en rancunes implacables. M. Jaurès a été la victime de ces derniers sentimens.

C’est trop insister, peut-être, sur une situation personnelle. Le parti socialiste, en perdant provisoirement M. Jaurès, a perdu sa plus grande utilité parlementaire ; mais il n’en reste pas moins tout entier. Il sera vraisemblablement dans la prochaine Chambre ce qu’il a été dans la dernière, c’est-à-dire un dissolvant très énergique par les alliances qu’il sera toujours disposé à contracter avec une opposition quelle qu’elle soit, — à moins qu’il ne serve de base à une combinaison ministérielle radicale, qu’il dominera sans avoir besoin d’en faire officiellement partie. Cette hypothèse s’est réalisée sous le ministère Bourgeois. Se réalisera-t-elle une fois de plus, et avec qui ? Ce sont là des questions auxquelles il est, pour le moment, assez difficile de répondre. Le parti radical, sur presque toute la surface du territoire, s’est fait modeste et petit pendant les élections dernières. Primo vivere, on verra ensuite : telle a été sa devise. Il s’est bien gardé d’afficher un programme auquel il a pu tenir autrefois, mais auquel il tient beaucoup moins aujourd’hui. Les mésaventures qu’il a traversées l’ont rendu philosophe, dans le plus mauvais sens du mot : elles l’ont prédisposé à renoncer aux idées. Comme ses idées étaient généralement fausses, on ne peut d’ailleurs que lui en faire compliment. Il faut distinguer toutefois entre les principes du parti radical, car ils sont le produit de générations successives. Ce parti a un vieux programme, et un autre plus neuf. Le vieux se compose de la révision de la Constitution, de la séparation de l’Église et de l’État, de la suppression de l’ambassade auprès du Vatican, et autres objets démodés auxquels on se contente de rendre un hommage de convenance. Tout cet arrière-fond ressemble un peu aux mères de famille qui font tapisserie dans un bal. La partie active et remuante du programme n’est pas là : elle est dans l’impôt progressif sur le revenu et dans le service militaire de deux ans.

Ce sont là les mots de passe que les chefs de file ont donnés à leurs affidés en province, et avec lesquels ceux-ci ont fait campagne. Ils se sont d’ailleurs bien gardés d’entrer dans des détails où ils se seraient inévitablement perdus. Ils se sont contentés de promettre aux paysans