Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/485

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec l’honneur. On accuse M. Gulion, ministre des Affaires-étrangères, et M. Moret, ministre des Colonies. Ils ne doivent pas, en ce moment, tenir beaucoup à leurs portefeuilles ; mais si on le leur prend pour le donner à d’autres, croit-on vraiment que les affaires en iront mieux ? Nous ne comprendrions qu’une chose, c’est qu’on demandât aux ministres actuels leur démission, pour les remplacer par des hommes pris dans tous les partis constitutionnels. On formerait ainsi un ministère vraiment national, et plus à même qu’un autre d’assumer toutes les responsabilités que les circonstances pourraient comporter ou exiger. Cette conception n’est peut-être pas facilement réalisable, ni même tout à fait pratique ; mais elle aurait sa noblesse, et l’Espagne pourrait la réaliser sans déchoir dans l’estime de l’Europe. Il n’en serait pas de même si, dans un moment d’aberration, elle se vengeait sur la dynastie de fautes que l’on ne peut pas équitablement lui reprocher. Il y a eu à cet égard des paroles regrettables prononcées aux Cortès espagnoles ; cela arrive toujours, aux heures de fièvre, dans une grande assemblée ; nous n’en connaissons pas de plus dignes d’être réprouvées que celles de M. Mella, un député carliste. « Malheureux sont les peuples, s’est-il écrié, qui sont gouvernés par des femmes et des enfans ! Le prophète l’a dit : la malédiction divine est sur eux. » Ces attaques directes contre une reine qui est peut-être aujourd’hui la dernière sauvegarde de l’Espagne, et contre un faible enfant qui n’est évidemment coupable de rien, devaient provoquer l’indignation. Le président du Conseil d’abord et le président de la Chambre ensuite les ont caractérisées comme elles méritaient de l’être. Il y avait là un appel à la guerre civile. Après les carlistes, les républicains. M. Salmeron a affirmé que celui qui renverserait le gouvernement actuel serait un grand citoyen : ce ne sera d’ailleurs pas lui. M. Sagasta lui a reproché de ne pas parler comme un Espagnol, et M. Sagasta avait raison. On pourra se disputer et se diviser plus tard ; les occasions, hélas ! ne manqueront pas ; mais aujourd’hui tous les bons citoyens doivent s’unir dans un sentiment commun, purement patriotique et exempt de toute préoccupation de parti. La Grèce a encouru certainement des responsabilités plus graves que l’Espagne, puisqu’elle a cherché et provoqué la guerre, en dépit des exhortations et des conseils pacifiques de l’Europe ; l’Espagne est dans une situation morale bien meilleure, puisqu’on ne peut lui reprocher rien de pareil et que, si le conflit a éclaté, c’est malgré elle et contre elle ; mais la Grèce, après s’être laissé entraîner à un certain nombre d’imprudences, nous allions dire de folies, a gardé assez de bon sens pour ne pas faire de