Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
48
REVUE DES DEUX MONDES.

vant, avaient une même culture intellectuelle, comme ils étaient d’une même race, la « dolicho-brune ». Leur civilisation, déjà remarquable, n’avait rien de babylonien, ni d’égyptien, ni de syrien. Les représentations grossières d’idoles féminines, relevées sur les monumens mégalithiques et les parois des grottes funéraires à Uzès, à Bourg, à Blaye, ont leurs équivalens exacts dans la céramique de Troie et de Chypre ; on retrouve les mêmes types, à une époque postérieure, en Bavière, dans la Prusse occidentale, en Galicie, en Russie[1].

Il faut donc pour première couche, en Grèce, comme dans les contrées voisines, admettre une civilisation néolithique primitive qui, de l’Europe centrale ou même de l’Europe du Nord, « rayonna en éventail vers la Méditerranée ». En Espagne, dans l’Italie même, soustraite au contact de l’Égypte et du monde sémitique, elle resta stationnaire, s’endormit dans une sorte de médiocrité. En Grèce, au contraire, sur toutes les côtes égéennes, la rivalité et le contact des diverses civilisations produisit la vie, le mouvement, le progrès.

Mais la race à laquelle la Grèce dut principalement son essor fut celle des Hellènes. Cette seconde couche ne venait pas davantage de l’Orient. Elle était descendue de la Scythie par le Danube et le rivage de l’Adriatique, vers le XVIe siècle avant notre ère :

  1. Quatrefages, Histoire des races humaines, t. I, p. 282. Reinach, le Mirage oriental, p. 55. Les dolmens de l’Allemagne du Nord, formés de blocs erratiques, sont les plus anciens que l’on connaisse. Ceux de l’Inde et de l’Afrique du Nord sont bien plus récens. Dans les pays favorisés qui se civilisèrent de bonne heure, comme l’Italie et la Grèce, on ne trouve pas de dolmens proprement dits, mais ces constructions en gros blocs, dites cyclopéennes, qui témoignent déjà d’un très grand progrès dans l’art de bâtir. On crut d’abord que l’étain venait de l’Inde ; c’est, au contraire, le mot sanscrit Kastira qui vient du grec ϰασσίτερος (kassiteros), et des textes grecs montrent que l’Inde, prétendue patrie du bronze, recevait son étain d’Alexandrie au IIIe siècle après J.-C.

    Les épées de bronze découvertes à Mycènes sont à soie, ont souvent des pommeaux d’albâtre et des ornemens en or ; la majorité des épées du bassin du Rhône et de la France entière sont de ce type à soie, avec pommeaux en bois, en corne ou en or. Les poignards à soie et les haches plates trouvées à Troie et dans l’île de Chypre sont identiques aux plus anciens poignards et haches de la Sicile, de l’Italie, de la France, surtout du bassin du Rhône. Une même industrie du bronze a donc existé et rayonné dans tout le bassin de la Méditerranée.

    Si l’ancienne théorie était vraie, l’île de Chypre, fertile et riche en métaux, très voisine de l’Égypte et de la Syrie, devrait offrir aux archéologues une couche inférieure de civilisation tout orientale, à laquelle se serait superposée plus tard une couche hellénique. Les fouilles récentes de M. Ohnefalsch-Richter ont prouvé, au contraire, qu’à Chypre comme sur beaucoup d’autres points, c’est la civilisation égéenne ou méditerranéenne, analogue à celle de Troie, qui est primitive ; puis vient une couche orientale, et enfin une couche répondant à la Grèce historique.