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droit. Il rappela même, en termes assez vifs, les circonstances qui avaient motivé la signature de cette obligation. Le vieux Lalligand, de même que son fils, était homme de belles manières et savait conserver une apparence de dignité dans les situations les plus équivoques. Il écouta M. de Noyan avec déférence et lui répondit froidement « qu’il n’avait point à justifier la conduite de son fils ; que les fautes de ce malheureux jeune homme avaient été expiées par sa mort, et qu’après tout, ce n’était pas aux gens dont il avait sauvé la vie et la fortune à se montrer sévères pour sa mémoire. Vieux, infirme, ruiné, privé de son unique enfant, lui, Lalligand, s’était attendu à trouver plus de sympathie dans une famille dont son fils lui avait souvent vanté les vertus et la reconnaissance. » Le vieillard se retira ensuite avec une profonde révérence, et en annonçant qu’il reviendrait, sous peu de jours, chercher la réponse.

M. de Noyan dut céder et paya les 15 000 francs ; il ne retourna jamais en Bretagne ; il rappela près de lui son indispensable intendant, Leroy, qui, après son évasion de la Tour-le-Bat, avait rejoint les Chouans et fait bravement dans leurs rangs toute la campagne. Leroy parvint à réunir les débris de la fortune de son maître, qui acheta, à Etioles, une magnifique propriété ; c’est là que le comte de Noyan mourut, au commencement de 1810, à l’âge de 80 ans. Une croix de fer, près de la porte de l’église du village, marque l’endroit où il fut inhumé.


Il nous reste à fixer le sort du principal comparse du drame que nous avons conté, de Chévetel.

S’il fallait en croire la tradition locale, il n’aurait pas longtemps profité de sa trahison. Dans ce pays d’Antrain, où son nom est resté un objet de mépris et presque de terreur, les paysans montrent, sur le bord du chemin qui va de Bazonges à Marcillé-Raoul, une croix qu’on appelle la croix Chévetel, et la légende assure que, frappé par la foudre, l’homme qui avait livré ses amis au bourreau, fut un jour trouvé mort là, étendu dans le fossé qui borde la route. Ce n’est qu’une légende. Chévetel devait vivre longtemps, riche, honoré, heureux peut-être.

Léo floréal an II, en pleine Terreur, trois semaines après l’exécution de Danton, Chévetel se maria : il prit pour femme l’actrice avec laquelle il entretenait, depuis longtemps, des relations et qui avait été, on se le rappelle, la maîtresse d’Armand de la Rouerie.