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Mais, pour le partage définitif des responsabilités, une question préalable se pose d’elle-même : qui a commencé ? Napoléon, en arrivant au pouvoir, a trouvé la France en guerre avec la Grande-Bretagne ; il a signé la paix d’Amiens. Qui a violé la paix d’Amiens ? J’ai le regret de dire que je n’ai pas encore rencontré un Anglais qui répondît honnêtement à cette question, et Seeley ne fait pas exception à la règle. Il a, sur ce sujet, deux pages d’une curieuse obliquité. Pourtant la question est simple. La puissance qui viole un traité n’est pas celle qui déclare la guerre, mais celle qui n’exécute pas les clauses de la paix. L’Angleterre avait promis d’évacuer Malte ; elle ne l’a pas évacué : donc elle a violé la paix d’Amiens.

Que Bonaparte fût ou non l’agresseur, il n’en était pas moins le champion de la politique traditionnelle, de la politique nationale, et ce qu’on retire à son originalité, il faut le rendre à son patriotisme. L’originalité est le privilège des penseurs. Isolés au milieu de leur génération, ils en préparent une autre. Ils sèment, dans la solitude, dans l’obscurité et, souvent, dans l’amertume, des moissons qu’ils ne voient pas lever. Ceux, au contraire, qui portent en eux toutes les passions, toutes les ambitions de leur temps, ne sauraient être des inventeurs. Leur mérite est de mettre, au service d’idées déjà découvertes, de rares et puissantes facultés d’organisation et d’action. De ces hommes, Napoléon est le plus complet, le plus largement représentatif. Successivement soldat de la Révolution et adversaire des Anglais, il personnifie les nouveaux principes et les intérêts permanens : toute la France de 1800. Ainsi comprise, la théorie de Seeley est très acceptable. Malgré tout, l’habitude est la plus forte, et nous continuerons probablement à parler de Napoléon comme s’il avait été vraiment « quelqu’un ».


III

Le professeur Seeley est maintenant en pleine possession de ce système historique qu’il nous avait fait pressentir dans l’Ecce Homo, qu’il avait appliqué, dans toute sa plénitude et toute sa rigueur à Napoléon Ier. Il va le transporter dans l’histoire nationale. Il en éliminera la biographie, c’est-à-dire ces figures de généraux et d’orateurs auxquelles les historiens, ses prédécesseurs, réservaient les honneurs de la cimaise ; au moi individuel, il substituera la loi du développement politique.