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LE PEUPLE GREC.

subjuguées par l’intelligence. Tandis que les dieux védiques demeurent, pour ainsi dire, enfoncés dans la Nature, luttant en elle et contre elle, les dieux grecs ont atteint, avec la pleine conscience, la gloire triomphante et l’immortelle sérénité. L’existence divine n’est pas pour cela immobile : les divinités sont encore des personnes morales et moralement libres, ayant leur caractère individuel et leurs relations sociales, si bien que la religion grecque, en somme, est surtout psychologique et « sociologique ». Comme sur la terre, la monarchie est au ciel, avec Zeus tout-puissant, et elle touche de près au monothéisme ; mais Zeus n’est pas la divinité solitaire, jalouse et dévoratrice, des cultes sémitiques. Le roi des dieux hellènes ne pouvait être un despote oriental. Il gouverne et juge avec l’aide du conseil des dieux ; il est tenu de respecter une loi supérieure, soit la coutume, soit la nécessité, que symbolise la Moira. Par le moyen de sa balance, Zeus consulte la Destinée, et il est absolument lié par elle, mais ce lien est celui de la justice.

Aussi voyons-nous, de bonne heure, avec l’élément humain et social, un élément moral s’introduire dans la vieille religion naturaliste. Chez Homère, la justice est déjà divinisée sous la forme de Thémis ; bien des notions abstraites, comme celles du Destin et celle de Parques, ont déjà reçu leur consécration religieuse. Chez Hésiode, un peuple de génies émanés de Zeus, — comme tout en émane, — parcourent la terre : leur principale fonction, essentiellement morale, consiste à observer « les jugemens équitables et les mauvaises actions. » La Justice, fille de Zeus, traduit devant le trône de son père les iniques jugemens des rois. Les rois hellènes sont donc loin de créer le juste ou l’injuste par leur volonté. Minerve et Apollon, qui personnifient la sagesse et comme le verbe de Zeus, lui sont intimement unis et ne sont même, eux encore, que des émanations de sa divine nature. Bien des mythes orientaux pénétrèrent en Grèce, comme celui d’Astarté devenue Aphrodite, mais la magie de l’imagination hellénique a changé leur brutalité en grâce, leur crudité sensuelle en beauté sereine : elle a tout idéalisé. Les Grecs seuls pouvaient, du mythe de Prométhée, tirer la plus haute philosophie en même temps que la plus haute poésie.

Le culte d’Apollon, dieu « hyperboréen », fils et révélateur de la pensée suprême, devint à Delphes, sous l’influence dorienne, l’inspirateur moral de la ligue amphictyonique, le centre religieux