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trois pièces religieuses inédites en son pays : un Stabat Mater, des Laudes A la Vierge et un Te Deum.

Si l’idéal dans l’art n’est, suivant la doctrine de Taine, que la manifestation d’un caractère essentiel et saillant, on peut affirmer que, jusqu’en ces dernières œuvres, la force demeure l’idéal de Verdi. Et sans doute il est extraordinaire, il est admirable, qu’à plus de quatre-vingts ans, le musicien n’ait pas trahi cet idéal, ou que cet idéal ne l’ait pas trahi. A Rossini lui non plus, au Rossini du Stabat, la force n’a pas manqué. « Rossini, dit très bien Montégut, c’est Arioste s’exprimant par la langue des sons : même bonne humeur inspirée, même cordialité lumineuse, même virile sensualité, même grâce robuste. » Et l’écrivain nous avertit qu’il « souligne très à dessein cette épithète, pour marquer que dans cette grâce il n’y a rien des aimables faiblesses qu’on décore souvent de ce nom : pas de mièvrerie, pas de préciosité, pas de fadeur mélancolique, pas de sentimentalité maladive ».

Mais cette force, qui jamais ne se lasse, le Rossini du Stabat l’exerce, la développe, ou la pousse, dans un sens opposé au sens même de son sujet. Il fait du Stabat une espèce de contradiction ou de paradoxe éblouissant, un mensonge de génie, le plus joyeux des mensonges, que cette joie même fait absoudre et qu’elle peut faire admirer. Au contraire, la force de Verdi, qui n’est pas moindre, est plus fidèle. Elle s’interdit les contresens, même glorieux. Au lieu de défigurer, elle interprète, et cette interprétation, moins intime que puissante, plus passionnée que mystique, ou pieuse seulement, ne laisse pas d’être légitime. Elle ne creuse pas le sujet, mais elle s’y conforme. Elle en exprime les dehors plus que le fond et l’idée moins que l’image ; mais à cette image, à ces dehors, elle donne la couleur, le relief, le mouvement et la vie. Musique d’action, de drame, soit ; mais, après tout, notre vie est action autant que pensée, et c’est un drame que notre destin.

Dès les premiers mots du Stabat, dès la première syllabe du premier mot, frappée durement, en dissonance, sur un accord rauque de l’orchestre, on reconnaît l’imagination pathétique de Verdi. Trois ou quatre notes lui suffisent pour faire tableau. D’un bout à l’autre de l’œuvre, qui se déroule tout entière sans une répétition de notes ou de mots, presque sans strophes ni couplets, sans préoccupation de correspondance ou de symétrie, nous recevrons ainsi des impressions très vives, très promptes, comme celles que feraient éprouver des touches ou des taches sonores. Tantôt nous subirons la violence. Le verset : Pro peccatis suæ gentis, Vidit Jesum in tormentis, éveillera pour un instant