Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/711

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Mottl au contraire a surtout appuyé sur les contretemps ; écrasant les syncopes, entre-choquant les rythmes, il a pris comme à tâche d’aggraver encore le poids énorme, toujours soulevé, mais retombant toujours, auquel son jeune rival se faisait un jeu, presque une joie de nous soustraire.

MM. Strauss, Mottl et Weingartner sont de grands artistes ; M. Hans Richter est le plus grand. Il semble l’auteur ou l’ancêtre de cette admirable famille, mais un ancêtre demeuré jeune et vigoureux. En « cet homme gros, blond et simple », ainsi qu’on l’a défini, réside une force égale et sage, maîtresse des autres parce qu’elle l’est d’elle-même, et qui jamais ne se hâte, ne se prodigue, ni ne s’épuise. A voir conduire M. Richter, on se souvient de la parole sacrée : « In patientia possidebitis animas vestras. » C’est dans la patience, et par elle, par l’effet d’une volonté contenue et ramassée, qu’un tel chef possède son âme, et la nôtre. Moins juvénile et plus classique que celle de M. Weingartner, la manière de M. Richter est plus large encore et moins saccadée que ne l’est par instans celle de M. Mottl. Avec « un front qui ne rougit jamais », ou presque jamais, M. Richter s’est fait un regard qui jamais ne se trompe et qui suffit parfois à provoquer l’« entrée » ou la « rentrée » voulue. Sans effort, sans fatigue apparente et rien que d’un clin d’œil, il assigne, il impose à l’instrument la quantité et la qualité du son qu’il faut émettre. M. Richter a le geste sobre et quelquefois très beau. J’aime surtout quand ses deux mains s’élèvent et planent dans l’espace avec des frémissemens légers, ou que sa main gauche insinue, fût-ce d’un seul doigt qui s’abaisse et se replie, des rémissions, des retards et comme des demi-silences.

Le silence ! Un grand chef d’orchestre en est le maître autant que des sons ; il ne lui donne pas moins d’éloquence. M. Richter et ses émules en obtiennent les plus admirables effets. Ils aiment à le prolonger, ils s’y arrêtent et s’y complaisent. Ils ont raison. Tous les grands musiciens pourraient dire, des points d’orgue qu’ils ont marqués, ce que Wagner fait dire à Beethoven du point d’orgue qui suit les quatre premières notes de la symphonie en ut mineur : « Tenez mon point d’orgue lentement et terriblement ! Je n’ai pas écrit des points d’orgue par plaisanterie ou par embarras, comme pour avoir le temps de réfléchir à ce qui suit… Alors la vie du son doit être aspirée jusqu’à extinction ; alors j’arrête les vagues de mon océan et je laisse voir jusqu’au fond de ses abîmes, ou je suspends le vol des nuages, je sépare les brouillards confus, je fais apparaître au regard le ciel pur et azuré, je laisse pénétrer jusque dans l’œil rayonnant du soleil. Voilà pourquoi