Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/745

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moderne, dont les ambitions la font plus inévitable, y répugne en même temps davantage. Pour avoir raison de ses révoltes inconséquentes, il faut, je le répète, un régime disciplinaire inflexible, et surtout (car trop souvent, sur le champ de bataille, l’automate se détraque et l’homme reste), l’esprit de sacrifice, le sentiment du devoir et le respect de soi développés par une éducation virile et une instruction suffisante, c’est-à-dire un enseignement qui exige assez de chaque intelligence pour lui faire sentir ses bornes, correctif de la présomption qui est le dissolvant de la discipline.


VI

Une école atteint ce but quand elle ne néglige en chacun des élèves aucune de ses aptitudes et les lui fait mesurer toutes en les exerçant à fond. L’étude des sciences est la plus propre à rendre l’esprit à la fois sévère pour lui-même, net et modeste. Quant à moi, je n’ai jamais tant rougi de mon ignorance et des bornes de mes facultés qu’en lisant le programme d’enseignement inauguré par notre démocratie. S’il a l’inconvénient d’être trop chargé, il le rachète du moins par un précieux avantage, il produit à coup sûr cet effet moral dont je signale l’utilité, car il suffit au plus intelligent, au plus laborieux, au mieux doué de nos lycéens de le parcourir pour le mettre en mesure de juger ses capacités, et le contraindre à baisser la tête. Il appartient à l’instituteur de la lui redresser à la hauteur convenable, c’est affaire d’éducation. La modestie n’empêche pas la fierté.

L’esprit démocratique, ramené à sa véritable essence, a de quoi prévenir ainsi ses propres excès, son penchant à la discussion mal éclairée, sans compétence, son entraînement aux résolutions téméraires, son effroi de la domination poussé inconsidérément jusqu’à la méfiance funeste de toute supériorité, même naturelle et légitime, et, par suite, à l’abolition du respect même dans la famille, tendance qui favorise et réjouit la médiocrité envieuse. Tout cela est à corriger, mais, s’il a les défauts de ses qualités, c’est qu’il est encore en formation ; ce n’est pas une raison pour méconnaître celles-ci et le condamner sur ceux-là.

En attendant qu’elle ait réalisé son idéal pédagogique, l’instruction intégrale, entendue non pas comme la folle entreprise d’infuser tout le savoir humain à chaque adulte, mais comme le