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pourra pas se faire inscrire à la mairie sur la liste des indigens soignés gratuitement. Si sa femme accouche, il n’aura pas droit au médecin du Bureau et à la layette, qu’il est si facile aujourd’hui d’obtenir. Il n’a point le bénéfice des lois protectrices du travail, qui ne s’appliquent point à lui. Il ne fait point partie d’un syndicat qui prendra fait et cause pour lui, s’il a quelques démêlés avec l’administration ou la compagnie qui l’emploie. Il est isolé, sans défense, aux prises avec cette immense machine dont il est un rouage infime. Enfin, il ne s’aide pas lui-même, et la lenteur avec laquelle se développe en France l’esprit d’association ne lui permet pas encore de réaliser, par l’intermédiaire de sociétés coopératives bien organisées, toutes les économies qu’à Londres les Coopérative Stores procurent aux employés du service civil et militaire. On plaint souvent l’ouvrier, et je ne dis pas qu’on ait tort ; mais moi, je plains davantage encore le petit employé, et je crois que j’ai raison.

Toutes ces difficultés, toutes ces gênes, parfois toutes ces misères attachées à la condition d’employé sont naturellement communes aux femmes. A ces difficultés viennent s’en ajouter d’autres qui leur sont spéciales et dont il faut tenir compte, si l’on veut bien connaître leur situation. L’employée est généralement célibataire. Mais si d’aventure elle est mariée, et si le mari est employé également, à toutes les épreuves que j’ai énumérées s’en joint une autre : c’est que la vie de bureau est absolument destructive de la vie conjugale.

Sans doute il en est de même pour l’ouvrier et l’ouvrière de fabrique, si tous deux travaillent au dehors, et c’est malheureusement le cas dans beaucoup de villes industrielles. Mais à Paris, toutes les ouvrières, il s’en faut, ne travaillent pas dans des ateliers ou des magasins. Beaucoup de professions féminines peuvent s’exercer, et s’exercent en effet, à domicile. Pendant que le mari est à l’atelier ou à l’usine (et encore un certain nombre d’ouvriers parisiens travaillent-ils en chambre), la femme peut faire à la maison, que ce soit à la main ou à la machine à coudre, beaucoup de travaux de couture et de lingerie qu’elle porte ensuite au magasin ou à l’entrepreneuse. Ces travaux ne l’empêchent pas de tenir son ménage, de faire la cuisine, et de garder ses enfans.

Il n’en est pas de même de l’employée. Entre elle et son mari s’élève toujours le bureau. Souvent il faut qu’elle y mange. En