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m’avait dit : « C’est vous qui mettrez tout ceci en œuvre. » La promesse implicitement contenue dans ces paroles, son jeune héritier a eu à cœur de la tenir, et c’est ainsi que ces documens m’ont été confiés.

Je dois dire brièvement en quoi ils consistent.

Ce sont d’abord les fragmens de Mémoires auxquels je viens de faire allusion. Dans cette autobiographie qui, malheureusement, ne va pas au-delà de 1816, on voit commencer l’extraordinaire faveur dont Louis XVIII donna à Decazes tant d’éclatans témoignages. Ce sont ensuite les innombrables lettres reçues par le favori du roi quand il était au pouvoir, et les minutes des siennes. Ses correspondans se nomment en ce temps : Richelieu, Pasquier, Molé, Lainé, de Serre, Maine de Biran, Royer-Collard, de Barante, de Broglie, Villemain, Guizot, Pozzo di Borgo, Wellington, Castlereagh, et combien d’autres encore !

Mais le joyau de cette rare collection, c’est la correspondance que Louis XVIII entretint avec Decazes de 1816 à 1822, — environ deux mille lettres autographes du Roi à son ministre, — véritable histoire du règne, écrite au jour le jour par un des premiers acteurs. Tour à tour ministre de la Police, ministre de l’Intérieur, président du Conseil, Decazes, pour gagner la confiance du roi, avait imaginé de l’entretenir quotidiennement de toutes les affaires, même des moins importantes. A cet effet, il lui envoyait chaque matin, dans un portefeuille dont chacun d’eux possédait une clé, les lettres et les rapports de toute nature qui lui arrivaient de divers côtés. Après en avoir pris connaissance, le Roi les lui retournait en les accompagnant d’une missive, tantôt longue, tantôt brève, où sa verve s’exerçait sans réserve ni retenue sur les hommes et sur les choses.

On saisit là, sur le vif, le caractère de l’affection qu’il avait vouée à Decazes. Il lui parle avec autant d’abandon que de familiarité, mais surtout avec une paternelle tendresse. Tout lui est prétexte à prendre la plume : sa santé, celle de « son fils », — c’est ainsi qu’il appelle Decazes, — l’entretien qu’ils ont eu la veille, car le Roi le recevait tous les soirs, les incidens les plus futiles de leur vie à tous deux comme les événemens les plus graves du royaume. Il lui écrit sur tout, à propos de tout, et jusqu’à trois fois dans la même journée. Entre ces lignes, malicieuses, émues, affectueuses, anecdotiques, coupées de citations latines ou françaises, se révèle à tout instant, en quelque cri de