Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/828

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dociles et plus souples, faciliteront un rapprochement qu’il tient pour nécessaire à la consolidation des institutions monarchiques. Decazes ne partage pas cette manière de voir. Il croit, comme Richelieu, que le corps électoral va condamner une fois de plus les doctrines de l’extrême droite. Mais il connaît trop ce parti, qui, depuis trois ans, le poursuit de ses âpres colères, pour espérer que la leçon le corrigera. Il est convaincu que les ultras ne désarmeront pas. On n’aura raison d’eux que par la formation d’un grand parti royaliste et libéral dont on ne peut trouver les élémens que dans les centres, parmi les représentans des opinions moyennes, et au besoin sur les confins de la gauche.

Gouvion-Saint-Cyr, Pasquier, Molé, Corvetto, se font gloire d’être de l’avis de Decazes. Il s’ensuit que, lorsque Richelieu se met en route pour Aix-la-Chapelle, il n’y a dans le cabinet qu’un seul ministre, Lainé, qui soit avec lui en complète communauté d’opinions. Le ministère est divisé en deux camps. La scission s’est opérée, par la force des choses, sans que personne l’ait provoquée. Les ministres, accoutumés depuis si longtemps à vivre unis, à marcher d’accord, commencent à se familiariser avec l’idée qu’ils ne peuvent plus s’entendre et qu’avant peu, ils devront se séparer. Néanmoins, en arrivant à Aix-la-Chapelle, Richelieu y reçoit une lettre de Decazes, où il lit avec satisfaction ces lignes qui le rassurent, quant aux conséquences de son éloignement de Paris : « Soyez sûr que je respecterai vos intentions, et que rien ne sera fait que quand vous me délierez. Vous devez autant compter sur ma fidélité à me conformer à vos souhaits que sur mon tendre et inviolable attachement. »


II

On a récemment publié les lettres que le duc de Richelieu écrivait au Roi durant les mémorables négociations d’Aix-la-Chapelle[1]. Ces lettres du négociateur français, connues aujourd’hui, et qui lui font tant d’honneur, ne constituent pas le seul document non officiel qui nous soit resté du Congrès. En même temps qu’il écrivait au Roi, Richelieu écrivait à Decazes. Il le faisait avec plus de confiance et d’abandon, sinon avec plus de sincérité. Tout en lui narrant par le menu ce qui se passait à

  1. Le duc de Richelieu, par M. Raoul de Cisternes.