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l’armée, et Decazes, tout en reconnaissant qu’en ce qui concernait la Garde, « le ministre de la Guerre avait besoin d’être contenu », partageait son avis. On introduisit cependant quelques amendemens dans les réformes militaires déjà décidées. Monsieur, a en croire le Duc d’Angoulême, en parut satisfait et de même le Duc de Berry. Mais, quelles que fussent à cet égard les assurances fournies par Decazes au duc de Richelieu, celui-ci n’ajoutait que peu de foi à cette satisfaction de commande. La réalité lui semblait tout autre que les apparences, et son humeur contre le Maréchal ne s’apaisait pas.

« Au nom de Dieu, s’écrie-t-il dans une de ses lettres, tâchez, par Damas que, j’espère, on n’a pas fait conseiller d’Etat pour des prunes, de déterminer le Maréchal à se relâcher de son fatal système. Je vous avoue que, sans cela, sans quelque modification à ses idées saugrenues, il me sera difficile de m’entendre avec lui. Je passe volontiers quelque chose à mes amis. Mais, lorsque des rameurs sur la même galère rament les uns en avant, les autres en arrière, il est impossible que rien marche. Je voudrais bien savoir qui cet homme a contenté, hors les ennemis du Roi et de l’ordre public. Tout ce qui tient à l’ordre de choses actuel de près ou de loin le déteste et appréhende toutes ses opérations, qui jusqu’à présent n’ont fait que du mal. S’il est si puissant que vous le dépeignez, tant pis ! C’est qu’il est le ministre d’un parti et non celui du Roi, et, si nous l’avons laissé grandir, c’est notre faute. Au reste, c’est encore une question à traiter à mon retour. Mais, je vous en conjure, employez le vert et le sec pour faire qu’on ne mécontente point la Garde, qu’on la complète, et qu’on la rassure sur son sort. Ce corps peut être notre salut ; il inspire confiance au dehors et au dedans, aux honnêtes gens s’entend ; et il est bien triste de voir le ministre de la Guerre à la tête de ses ennemis. Ce n’est pas à cause de tout ce que m’a dit l’empereur de Russie du Maréchal et de la Garde que je vous parle ainsi. Vous savez que j’ai toujours pensé de même. »

Dans ces véhémens reproches du duc de Richelieu, qui s’accordent si mal avec ce qu’on sait de l’ordinaire rectitude de sa raison et de la modération de son esprit, tout ou presque tout portait la marque de l’exagération et de l’injustice : de l’exagération, parce que le Maréchal n’était pas aussi décrié que le disait son collègue, et parce que, si la coterie du pavillon de Marsan s’exaspérait de son libéralisme, en revanche, la majorité des