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désigné comme lieu de réunion et la date fixée à la nuit qui suivrait le dimanche de la Pentecôte.

Toute la contrée fut en émoi. Bien que la convocation eût été secrète, tant de gens étaient dans la confidence que, de Saint-Malo à Fougères et de Lamballe à Avranches, ce fut comme une traînée de poudre : le bruit se répandit que les événemens étaient proches. Par les chemins détournés, les commissaires de la conjuration, déguisés qui en paysans, qui en colporteurs, quelques-uns même en patriotes, la plupart à cheval, cachant sous leur manteau leurs pistolets ou leurs sabres, se dirigeaient vers le château de la Rouerie. A tous, le marquis avait distribué une sorte de passeport, tracé de sa main sur une bande de papier facile à dissimuler et qui était ainsi conçu :


Toute confiance et secours au porteur de ce billet de la part des amis d’Armand.


Dès l’après-midi du dimanche, les affiliés affluaient au château : au loin, dans la campagne, la Rouerie avait placé des sentinelles perdues ; derrière cette première défense s’étendait une ligne de grand’garde ; puis, à la tête des avenues, sur les chemins, étaient des postes d’hommes armés : toutes les entrées du château enfin, toutes les barrières du parc avaient été obstruées à l’aide de fagots entassés. Les arrivans étaient accueillis par les aides de camp du chef : on avait vidé de bétail les écuries afin d’y loger quatre-vingts chevaux ; d’autres restèrent toute la nuit sellés et bridés dans la cour. Les chambres du premier étage étaient transformées en dortoirs : dans les salles du bas, des tables servies attendaient les convives : depuis plusieurs jours, les domestiques avaient fait de grands achats « en viandes et provisions de toute sorte ». En attendant l’heure de la réunion, on dressa des tables de jeu.

Enfin le marquis parut : aux acclamations des assistans, il traversa la salle, distribuant des accolades et des poignées de main : peu à peu le silence s’établit, et la Rouerie donna la parole à l’un de ses aides de camp qui lit lecture de la commission adressée au marquis par les princes. Sa qualité de chef ainsi établie, la Rouerie, d’une voix vibrante, commença à parler :

— « Bretons et concitoyens des différentes provinces, que la religion et l’honneur rassemblent ici, on vient de vous donner connaissance de mes pouvoirs, celle de mes desseins. C’est pour