Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/916

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’épuisaient les préfets pour arracher la victoire, il leur semblait naturel de seconder les préfets comme on seconde un chef. Destinés, dès les bancs de l’école normale, à faire l’éducation politique du peuple français, ils s’imaginaient peut-être donner aux adultes une efficace leçon de choses, — et, de fait, ils en donnaient une, — en interrompant bruyamment, sous les regards de leur commune, les candidats de l’opposition.

Joignez-y qu’aux yeux d’un certain nombre, la besogne d’agent électoral était plus lucrative que la profession d’instituteur, et qu’ils croyaient faire un placement plus sûr en achetant la gratitude d’un candidat qu’en méritant celle de leur classe : « Se pousser, disait en 1894 un directeur d’école normale à l’un de nos inspecteurs généraux, c’est le véritable et dominant principe de mes élèves. Un petit nombre seulement sont sensibles à l’attrait d’une noble cause à représenter, d’un grand intérêt national et moral à servir dans l’école primaire. » Tous, enfin, à quelque hauteur que fût située leur âme, n’étaient-ils point, dans leurs villages, la lumière même, et met-on la lumière sous le boisseau ? Sentimens de tout ordre et de tout aloi, petites idées et grandes idées, ambitions mesquines et aspirations emphatiques, souci de leur avancement et souci de ce qu’ils croyaient être leur tâche, tout contribuait à jeter les maîtres d’école dans la bagarre de la politique, sous l’égide des préfets successifs, leurs chefs.


II

Dans les sphères plus sereines où les tempêtes locales n’ont point d’écho, quelques pédagogues d’élite, mi-philosophes, mi-théologiens, s’efforçaient d’imprimer à notre enseignement primaire une impulsion souveraine. Ils étaient, au second degré, les chefs de l’enseignement, comme les préfets l’étaient au premier degré : il importe, à ce titre, de les faire connaître.

Vers 1869, trois hommes éminens du protestantisme français répandaient en Suisse une semence religieuse. M. Ferdinand Buisson — c’était l’un d’eux — rappelait, il y a peu de mois, sur la tombe de M. Jules Steeg, cette lointaine campagne d’apostolat. « C’était à Neuchâtel, racontait-il. M. Pécaut y était venu appuyer de sa grave parole un effort tenté pour dégager du christianisme traditionnel et ecclésiastique ce qu’on pourrait appeler le christianisme éternel, une sorte d’Evangile fait de la moelle du