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et leurs idées aussi bien que leur style n’ont de valeur que s’ils sont l’expression de nouveaux aspects de l’âme américaine.

Voici, par exemple, Benjamin Franklin : « C’est à ses conseils et à son exemple que l’Américain doit, en partie, d’être avisé, industrieux et économe. » Son principal titre de gloire est que « jamais il n’a été colonial dans son attitude ». Et voici ce que M. Brander Matthews appelle n’être pas colonial : « Franklin, nous dit-il, gardait en présence des rois toute la dignité qui convient à un homme libre ; il abordait une commission de la Chambre des communes avec la vigueur tranquille d’un sage, armé d’un triple airain pour une juste cause. » Washington Irving était « inflexible dans son américanisme » et se refusa toujours à collaborer à la Quarterly Review, en raison de l’hostilité de cette revue pour les États-Unis. « C’est lui qui a découvert la beauté de l’Hudson, c’est lui qui a peuplé de ses charmantes figures les pointes rocheuses des Catskills et les verts recoins du Sleepy Hollow. » Fenimore Cooper était « un très loyal et très ardent Américain » ; et s’il a imité d’abord les romanciers anglais, c’est que « la littérature américaine se trouvait encore, de son temps, dans un état de dépendance coloniale à l’égard de l’Angleterre ». Aussi a-t-il rendu un service énorme à la littérature américaine « en lui montrant quelle riche matière de fiction elle pouvait trouver dans les paysages, les caractères, et l’histoire de sa patrie ».

Mais aucun de ces écrivains n’a été aussi précieux, à ce point de vue, que William Cullen Bryant, qui a « ouvert les yeux des poètes des États-Unis sur la vie qui les entourait ». — « Le premier, il a découvert que les fleurs et les oiseaux de la Nouvelle-Angleterre n’étaient pas ceux de l’Ancienne-Angle terre. Du jour où parut son premier recueil de vers, le rossignol se tut dans la poésie américaine, comme il s’était toujours tu dans les bois américains. » Faire taire le rossignol ! voilà en vérité un étrange mérite, pour un poète. Mais j’imagine que si Bryant a imposé silence au rossignol de la vieille Europe, ce n’était que pour permettre à ses compatriotes de mieux entendre le murmure printanier du « rossignol d’Amérique », cet adorable oiseau bleu aux grands yeux naïfs qui, dans nos cages européennes, évêque pour nous la splendeur des « bois américains ». Et après Bryant, qui a fait taire le rossignol, Drake a « franchement introduit dans la poésie les insectes américains ». Il a chanté le dialogue, « sur les collines solitaires, du grillon qui grésillonne et du katydide aux ailes transparentes ».

Puis vint Emerson, « dont la doctrine eut toujours pour base un américanisme opiniâtre et radical ». Il se laissa bien aller, parfois, à