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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/110

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en aumônes, en largesses, l’hospitalité reçue ; naguère, chaque passage de souverain était marqué en outre par de nouvelles exemptions d’impôts, par un accroissement de franchises, par des garanties et des grâces.

Ainsi muni, défendu, protégé, l’Hôtel-Dieu a traversé sans périr les vicissitudes et les calamités de cinq siècles. Au seuil de l’admirable réduit expiraient les revendications féodales, les âpretés du fisc, le tumulte des séditions et la furie des guerres. Tous les envahisseurs l’ont respecté, depuis Gallas et ses farouches Allemands, en 1636, jusqu’aux Prussiens de Werder, en 1870. Il eut pourtant à subir des assauts. En temps de peste, sa règle lui interdisait de recevoir les victimes de la contagion, par égard pour ses autres malades. Il arriva que la populace affolée brisa les portes de l’hôtel pour jeter les pestiférés dans les salles et que le fléau s’y installa par effraction. Plus tard, la Réforme prétendit au partage de plusieurs chambres avec le culte catholique ; d’où discordes et conflits. Au reste, toutes les crises que traversa l’ancienne France, crises religieuses, politiques, financières, sans porter à l’hôtel d’irréparables coups, eurent sur lui leur retentissement. Au temps de Law, il reçut en paiement de ses débiteurs des billets émis par la fameuse banque, et le Krach de 1720, le premier en date, engloutit une partie de son avoir. Des libéralités judicieuses eurent promptement réparé ces pertes. En somme, d’un mouvement progressif, quoique interrompu parfois d’arrêts et de reculs, l’institution allait se fortifiant, arrondissant son domaine, augmentant ses revenus, essaimant au loin, envoyant des colonies de sœurs à Châlons, à Besançon, à Dôle, recueillant d’autre part la succession des établissemens situés dans son voisinage immédiat et doués d’une complexion moins robuste, héritant des léproseries, héritant des vieilles maladreries, attirant à soi et concentrant toute la vie charitable de la contrée.

Vint la Révolution, qui détruisit en partie ses trésors, confisqua ses biens, imposa le costume séculier aux religieuses et les appela citoyennes, mais n’osa interrompre leur service. Plusieurs furent emprisonnées ; nulle ne périt. A Beaune, les excès révolutionnaires furent moins féroces qu’ailleurs et de plus courte durée. Faut-il attribuer cette douceur relative au naturel paisible des habitans, à leur humeur de bons vivans, à je ne sais quelle indolence qui semble se dégager de ce plantureux terroir : « Ici, nous dit-on, les bonnets rouges prirent vite un air de bonnets de coton. » Dès