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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/115

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La courte et gracieuse procession prend la cour de biais, s’engage dans la salle Saint-Louis, située sous le pavillon Louis XIV ; nous l’y rejoignons. C’est encore une pièce spacieuse et haute, qu’enrichit en son milieu une belle fontaine à vasque de marbre. Un demi-crépuscule règne dans la salle, ravivant la flamme des cierges, et sur les degrés de l’autel l’ostensoir s’élève entre les bras du prêtre comme un astre d’or, bénissant la foule, bénissant les malades agenouillés au pied de leur lit, tandis qu’un grand saint Antoine, se détachant en costume d’évêque byzantin sur une tapisserie à fond rouge, semble présider à la cérémonie. Puis, la procession ressort, traverse de nouveau une partie de la cour et s’enfonce dans le couloir du fond, pour se rendre au reposoir placé à l’entrée du jardin.

Nous la laissons aller et restons dans la grande cour. Les groupes se reforment, les entretiens reprennent : chacun demeure sous l’impression du spectacle qui vient de passer, répandant une douceur et une quiétude. On voudrait en ressaisir toutes les particularités, en mieux pénétrer les origines ; les anciens du pays font la leçon aux nouveaux venus : nous apprenons que, si la Fête-Dieu prend un éclat particulier à l’hôpital de Beaune, elle le doit à une religieuse du XVIe siècle ; en 1539, sœur Catherine Brouhot affecta une rente annuelle à l’office du Saint-Sacrement, afin qu’il fût beau, bien réglé, soigné dans tous ses détails ; mais que serait cette cérémonie sans le cadre où elle évolue !

Autour de nous, l’aspect des choses se transforme, sous les variations de la lumière. Le soleil, qui s’abaisse sur l’horizon et va bientôt quitter la cour, n’éclaire plus que les tapisseries faisant face au couchant ; mais il les imprègne d’une lueur plus chaude, d’un éclat plus intense, succédant à l’or tendre du matin. La vue de ces beaux atours changeant d’apparence avec l’heure, diversifiant sans cesse leurs magnificences, fait mieux comprendre à quel point les décorateurs d’autrefois eurent le sentiment et la maîtrise de leur art, eux qui ne tenaient pas les tapisseries perpétuellement reléguées dans les églises et les appartemens, qui aimaient à les exposer en plein air et en faisaient le luxe extérieur des jours de fête. Hardiment, ils les appliquaient alors au fronton des cathédrales, sous le péristyle des palais, sur les façades des demeures ; ils faisaient se mouler sur les courbes et les saillies de l’architecture ces grands tableaux souples, aux nuances délicieusement fondues ; ils les livraient au soleil, qui ravivait leurs tons et se