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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/159

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participer, d’une façon toute passive, que dans la mesure où ils en sont les victimes.


I

Ils sont des victimes, en effet ; et deux ennemis les mettent en fuite : c’est, d’une part, le désarroi économique provoqué par le rapprochement des distances et par la concurrence des divers marchés ; et c’est, d’autre part, la lourdeur des impôts, que les ambitions de l’Italie royale ont rendue nécessaire. La Basilicate, district oublié, nous dirions volontiers perdu, qui, par son isolement même, semblerait fait pour retenir ses habitans, est l’un de ceux qui donnent à l’émigration le plus fort contingent. Les attraits variés du vaste monde, présentés ou racontés aux indigènes de certaines provinces par la foule toujours renouvelée des touristes, ne peuvent exercer aucune séduction sur les paysans de la Basilicate, car les touristes y sont rares, les excursions même y sont difficiles. Mais, ce qui les pousse hors de chez eux, c’est le besoin ; c’est la faim ; c’est cet amour même de l’existence, tenace, invincible, et qui, parfois, survit plus aisément aux âpretés de la souffrance qu’à la monotone mélancolie du bien-être. « L’agriculture et ses produits sont en grande décadence ; et tous les efforts du capital et du travail en vue d’une activité industrielle n’ont laissé aucun résultat apparent » : ainsi s’exprime le dernier rapport de la Chambre de commerce de Potenza, publié en 1897. Et les détails précis foisonnent, à l’appui de cette doléance. En Basilicate, depuis quinze ans, le gros bétail a diminué de 6 000 têtes ; la valeur de la propriété a baissé de plus de 50 pour cent ; le prix de l’hectolitre de grain est tombé à 14 francs ; sur une cinquantaine de petites banques dont on avait risqué l’établissement, quarante à peu près ont sombré ; les rares industries qui avaient pris quelque éveil ont périclité ou succombé, sous l’indiscrète pression de l’impôt qui frappe la richesse mobilière. On a tellement aggravé cette pression, qu’en treize ans le rendement de cet impôt s’est accru de 184 000 francs. Et comme certaines habitudes de fiscalité, inaugurées par le pouvoir central, deviennent d’un contagieux exemple, les municipalités à leur tour se sont faites usurières : pour un petit baudet, le paysan paie, parfois, une taxe annuelle s’élevant jusqu’à 9 francs, et il se révolte, mais en vain, lorsqu’il voit le percepteur assimiler à un signe de