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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/183

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étant données les mœurs de son volage époux et celles du pays en général.

En arrivant à Och, j’appris que le capitaine Groumbtchevsky, l’explorateur hardi qui, depuis dix-huit mois, s’était enfoncé dans les montagnes les plus inaccessibles qui s’étendent au sud-est des avant-postes russes, entre le Ferganah et le Thibet, était sur la voie du retour, et qu’on le signalait à Kachgar, d’où il se préparait à revenir au Ferganah, en se dirigeant peut-être sur Och même. Je fus très heureux de cette coïncidence, qui pouvait me permettre d’entrer en relations avec un explorateur aussi qualifié et d’un aussi grand mérite ; et, si bien d’autres raisons ne m’y avaient déjà engagé d’autre part, cette considération aurait suffi pour me décidera hâter le plus possible ma marche vers Kachgar, dans l’espoir de l’y rencontrer.

J’avais donc pris Och comme base d’opérations pour mon voyage en Kachgarie. L’organisation de la caravane fut, comme toujours en pareil cas, une importante besogne. Il fallait nous procurer des hommes, des chevaux et des vivres, et comme, vu la saison, c’était un désert glacé que nous allions traverser pendant trois semaines, nous ne pouvions apporter trop de soin au recrutement des uns et au choix des autres.

Nous nous occupâmes d’abord des animaux : les chevaux du Turkestan sont excellens, mais ceux dont nous nous étions servis jusque-là dans les plaines du Ferganah ou de la Sogdiane ne pouvaient, malgré toutes leurs qualités, convenir pour le voyage en montagne que nous allions entreprendre. Il nous fallut recruter des animaux nés et élevés aux grandes altitudes, habitués à se tenir en équilibre au flanc des rochers à pic, souvent couverts de verglas, et à y chercher leur nourriture, car, entre autres difficultés spéciales à la saison, figurait l’impossibilité d’emporter des vivres en quantité suffisante pour nourrir les bêtes le long de la route. Les chameaux, en effet, utilisables pendant l’été, ne peuvent gravir en hiver les pentes de neige très rapides ni les talus rocheux et couverts de glace. On sait avec quelle facilité un chameau chargé, quand il vient à glisser, s’écrase sous la charge. Tous ceux qui ont voyagé en Afrique ont pu constater qu’un simple terrain vaseux constitue déjà pour ces animaux un grand danger. Le chameau chargé dont le pied a glissé s’ouvre comme un compas, et l’os de son épaule se brise souvent dans cette chute. Il faut l’abattre et répartir la charge sur ses