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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/199

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consistant en stations faites régulièrement trois fois par jour et, en outre, dans tous les points remarquables, et quatre cents photographies.

Comme collections d’histoire naturelle, outre une petite série de spécimens minéralogiques, le capitaine rapporte deux mille oiseaux, environ deux mille échantillons botaniques, trente-cinq mille insectes, cinquante ou soixante remarquables exemplaires de mammifères, dont trois panthères irbiz, trois argalis, des ânes sauvages, plusieurs espèces de mouflons ou de bouquetins, des yaks, etc. Tous ces animaux, ainsi que les oiseaux, ont été tués de sa main, car l’expédition, peu nombreuse et peu riche, n’avait à sa disposition qu’un seul fusil de chasse. Il est vrai que ce fusil était excellent et supérieurement manié. Outre les deux explorateurs, elle comprenait sept cosaques. Les collections, arrivées ce matin à Och, forment dans leur état actuel la charge de trente-trois chevaux.

Il est admirable qu’elles aient pu être formées dans des conditions matérielles aussi difficiles. Pour ne citer qu’un exemple des obstacles que l’expédition a rencontrés, nous dirons qu’en janvier 1890, partie de Chakridoullah-Khodja au commencement du mois, elle se dirigea vers l’Est, et entreprit d’atteindre ainsi Polou, point relevé autrefois par Prjévalsky et où le capitaine voulait relier ses observations à celles du grand explorateur. Chakridoullah-Khodja est situé sur la grande route des caravanes du Kachmir à Kachgar, non loin de la fameuse passe de Karakoroum qui réunit l’Inde à l’empire chinois. C’est un point qui a été atteint par la mission anglaise de Shaw, venue de l’Inde en 1870[1]. Pour gagner Polou, il fallait traverser un plateau élevé de 17 000 pieds et coupé de trois chaînes de montagnes transversales, c’est-à-dire orientées du Nord au Sud. Après une marche de trois jours sans eau, Groumbtchevsky traversa la première chaîne par un col haut de 19 000 pieds, qu’il découvrit, et auquel il donna le nom de Passe russe, nom adopté aujourd’hui par les indigènes eux-mêmes. Après une quatrième journée de marche sans eau, il parvint au petit lac d’Issyk-Boulak. Mais dans cette journée, vingt-huit de ses chevaux, sur quarante-six que l’expédition possédait au départ, moururent de soif et d’asphyxie. Il fallut rebrousser chemin, après avoir brûlé une

  1. Cf. Robert Shaw, Visits to High Tartary, Yarkand, and Kashgar, and return journey over the Karakoram pass, 1 vol. in-8o, London, John Murray, 1871.