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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/222

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ÉTUDES D’UN HOMME D’ÉTAT RUSSE
SUR LA SOCIÉTÉ MODERNE


Un Russe, M. Pobédonostzeff, qui fit l’éducation politique de deux empereurs, et qui est aujourd’hui le procureur général du Saint-Synode, a publié récemment, sous le titre de Recueil de Moscou, des essais sur la société et les idées modernes. Fort remarqués en Russie, ces essais ont été traduits en français et en allemand, et méritaient de l’être[1]. L’auteur joint une grande élévation de pensée à une dialectique serrée et pressante, et il a prouvé dans mainte page de son recueil que le mysticisme n’est pas toujours en guerre avec le bon sens. Mais cet homme grave a l’esprit rigide et tout d’une pièce ; aussi entier dans ses haines que dans ses admirations, il n’admet pas que les astres qu’il aime aient leurs taches ; il n’admet pas non plus que jamais un rayon de soleil s’égare dans la nuit de l’erreur. Dès le premier jour de la création, la lumière fut séparée des ténèbres ; n’essayez pas de les réconcilier, il n’est pas de ténèbres lumineuses. Le bien est le bien, le mal est le mal, et le mal n’est jamais mêlé de bien.

Ce juge inflexible condamne en bloc toutes les idées modernes, il les tient pour un poison, et il déplore qu’importées de l’Occident, elles soient propagées en Russie par de dangereux utopistes, par des doctrinaires fourvoyés et par « la petite comtesse moscovite, » qui se fait une loi et un plaisir d’admirer tout ce qui se dit et s’écrit en France. Malheur aux peuples qui les acceptent ! Malheur surtout aux peuples qui les ont inventées ! Ils sont si malades qu’il faudrait un miracle pour les sauver.

  1. Questions religieuses, sociales et politiques, pensées d’un homme d’État. Paris, 1897, Haudry et Cie, éditeurs. Streilfragen de Gegenwart, autorisirte deutsche Ueberselzung. Berlin, 1897.