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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/30

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influence en Orient. Comme autrefois les rois de France, c’est d’abord sur l’amitié du sultan que l’héritier des Hohenzollern entend fonder sa suprématie sur les pays du Levant. Gêné par les clauses constitutives de notre protectorat, Abd-ul-Hamid en souhaite la disparition : il aidera volontiers l’empereur à ruiner notre prestige et nos droits. Depuis longtemps la situation privilégiée de la France en Orient excite la jalousie et provoque les intrigues allemandes. Déjà, en 1869, le prince royal Frédéric est entré solennellement dans la Ville sainte, a ressuscité le vieil ordre des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem et acquis ce sanctuaire du Sauveur dont Guillaume II va inaugurer en grande pompe l’édifice restauré ; mais c’est depuis 1882 surtout que les Allemands ont provoqué l’extension des missions catholiques et protestantes. Beaucoup d’efforts et beaucoup d’argent n’ont pas suffi à créer à l’empire une clientèle luthérienne nombreuse[1]. Aussi, comme en Chine, est-ce plutôt par les missions catholiques que Guillaume II espère favoriser l’expansion germanique. Ne pouvant détruire notre protectorat, l’empereur, avec l’aide de ses ambassadeurs à Constantinople[2], avec la complaisance de la Propagande, a essayé, comme en Extrême-Orient, de l’effriter. Sous l’inspiration de ces mêmes Pères de Steyl dont nous avons rencontré l’action au Chan-toung, une association (Palestinaverein[3]) fut fondée pour la diffusion des missions et la centralisation de leurs efforts. Les œuvres allemandes ne tardèrent guère à se soustraire au protectorat des consuls français. Toute une série de petits faits, dont la répétition est caractéristique, sont là pour le prouver. — En 1884, les Templiers allemands envahirent le monastère du Mont-Carmel, le saccagèrent, arborèrent le drapeau de l’Empire : un interminable conflit diplomatique s’ensuivit. — En 1891, les sœurs de Saint-Charles qui dirigent à Jérusalem un orphelinat et un hôpital refusèrent la visite traditionnelle au consul de France, et se placèrent ouvertement sous la protection du représentant de l’Allemagne ; c’était à l’époque même où

  1. D’ailleurs le nombre des protestans en Terre-Sainte est infime : ils sont 400 à Jérusalem, 20 à Bethléem, 100 à Nazareth, 30 à Lydda, etc, d’après le Guide-indicateur du Frère Lievin.
  2. Il est singulier de constater que le gouvernement allemand se fait presque toujours représenter par des catholiques auprès du sultan et par des protestans auprès du Saint-Siège.
  3. Cette association publie une revue : das Heilige Land (la Terre sainte) Paderborn.