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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/416

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faudrait, lorsque le domicile est un hôtel meublé, un contrôle plus rigoureux ; et que la garantie est médiocre, d’un garçon de bureau qui passe, qui ne pose qu’une seule question, et à qui le premier venu répond ce qu’il veut. Mais, par un singulier renversement des choses, on est presque moins exigeant pour cette espèce de « suffrage universel debout » que pour le « suffrage universel assis. » J’en ai vu un très bel exemple. Un notable commerçant, électeur depuis vingt-huit ans dans la même section, allant retirer sa carte le matin du 8 mai, s’entendit déclarer tout net qu’il n’y en avait pas pour lui, et qu’il était rayé. Naturellement, il fut curieux d’en apprendre le motif : renvoyé de Caïphe à Pilate, on lui fit à la fin connaître que, s’il n’était plus inscrit sur la liste de son quartier, c’est qu’il était allé demeurer à l’autre bout de Paris. « Mais je n’ai pas bougé de la maison que j’habite depuis vingt-huit ans ! — Vous ne demeurez pas à présent rue… ? — Pas le moins du monde ! — Vous (n’y avez jamais habité ? — Jamais de la vie ! — Votre concierge l’a pourtant indiqué. — Il n’a pas pu le dire : il me connaît trop bien : je suis propriétaire de la maison. — Il se sera trompé de nom. — Cela ne se peut pas ; je n’ai pas de locataires. — Que voulez-vous ? Votre « bulletin de retranchement » a été envoyé à la mairie du… Vous devez être inscrit au… Allez-y voir. — Provisoirement, puis-je voter à ma section ? — Impossible ! la loi s’y oppose. — Mais si je prouve que j’ai été rayé à tort ? — Trop tard : le délai pour les réclamations est expiré. » Par acquit de conscience, l’électeur évincé se rendit à la mairie du… ; comme il s’y attendait, il n’était pas inscrit, et ne vota donc ni sur la rive droite, ni sur la rive gauche. A ses justes récriminations, l’administration n’a, depuis lors, répondu que : « C’est drôle ! » Le plus « drôle » est sans doute que ce soit l’administration qui le trouve drôle.

Et la morale de cet incident, qui s’est du reste renouvelé, c’est que certaines gens figurent sur les listes électorales, qui n’y devraient pas être, et que d’autres, qui ont le droit absolu d’y être, peuvent cependant ne pas s’y trouver. Quelques morts s’y raccrochent désespérément à la vie ; quelques « déménagés » y gardent un pied-à-terre ; quelques inconnus s’y glissent à la faveur de leur obscurité ; il est même probable qu’en les épluchant d’un peu près, on y découvrirait quelques incapables et quelques indignes. Comment s’en étonner ? Il n’est pas un Français en France qui puisse entrer, pour graisser les roues, dans une compagnie de