Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/421

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en veuille. Il faut un candidat pourtant ; ce sera donc un républicain : faute de grives, on mange des merles. Mais encore quel républicain ? Le premier à qui l’on en parle refuse net ; le deuxième demande à réfléchir et se dérobe ; le troisième accepte. Du coup, les deux armées sont en présence et la lutte peut s’engager.

Ce sont d’abord des escarmouches, de petites rencontres d’avant-postes, des fusillades de tirailleurs, des pointes et des reconnaissances. Le candidat en expectative n’a pas encore soufflé mot de sa candidature, qu’à sa porte, la sonnette ne cesse plus de tinter. Alors, commence un étrange défilé de tout ce monde interlope qui, dans une grande ville, s’agite autour d’une élection, de toute la gueuserie électorale. C’est le directeur-gérant de l’Abeille ou du Moniteur, feuille spécialement fondée pour soutenir telle opinion, et au besoin pour la combattre, qui vient interroger le candidat, s’enquérir de son programme, se mettre à sa disposition, s’entendre, etc. C’est un orateur attitré de réunions publiques, — on en cite un qui se donnait cette qualité sur ses cartes, — c’est un de ces orateurs qui vient vous annoncer pour le soir, salle Y…, une séance où il ne manquera pas de prendre la parole. « Vous êtes un honnête homme ; lui aussi ; il proposera et défendra votre candidature. » Il est déjà, du reste, fortement pris de vin, et d’une langue embarrassée bredouille des propos presque incohérens où reviennent, comme à intervalles fixes, ces mots : la Chambre parlementaire. Il ne sera pas facile à éconduire : il a l’air d’être vissé là. Ne lui proposez rien, et il ne tardera pas à se livrer, ou à s’offrir. Il sort de maladie, il est dans le besoin, il cherche vainement du travail. Mais ne lui en indiquez pas : il vous dira que le chantier est trop loin. Ce qu’il veut, c’est une pièce de quarante sous : il ne vous la demande pas en pur don, mais il n’a pas mangé ; avancez-lui seulement de quoi acheter du pain ; il vous le rendra, quand il aura touché du bureau de bienfaisance un secours qu’il attend. Vous êtes fixé, mais il vous plaît de faire l’expérience : vous lâchez la monnaie : peut-être croyez-vous ainsi vous débarrasser de l’importun. Que nenni ! bientôt il revient. La séance a eu lieu ; il a plaidé éloquemment pour vous et, grâce à lui, vous avez eu à peu près la moitié des voix. Encore un petit effort et vous aurez tout, mais pour cela il faut se réunir à nouveau entre amis, et il faut boire, et, pour payer à boire, il faut de l’argent qu’il n’a pas. Cette fois, afin de compléter l’expérience, vous refusez. L’homme alors passe de l’amabilité à la menace :