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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/439

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pères ou beaux-pères, lesquels avaient pourtant cette justification, non point de n’être pas nés, comme l’agneau, mais d’être morts depuis longtemps ! Si pourtant on l’a dit au peuple, et si en effet le peuple l’a cru, n’est-il pas admirable de voir des députés établir sérieusement des distinctions, fondées sur autre chose que sur la couleur de la peau, entre des électeurs assez naïfs pour se laisser prendre à de telles sornettes et les Indous ou les Sénégalais ?

Non, le suffrage universel n’est pas la pure Intelligence, et le citoyen ne reçoit point, à vingt et un ans, les sept dons de l’Esprit. Le suffrage universel est simplement ce qu’il est, mais il est. On peut dire de lui, et avec toute raison, ce que les économistes aiment à dire de l’Etat : qu’il est un mal nécessaire. Nécessaire, il ne l’était sans doute ni de toute éternité ni par prédestination, mais il l’est devenu, en étant, et désormais, on ne saurait presque plus concevoir qu’il ne fût pas, parce qu’il est. Procédé de gouvernement, comme il y en a d’autres, il n’a rien en soi de supérieur aux autres, rien de plus sacré qu’un autre, mais il est.

Le suffrage universel est un fait vieux de cinquante ans ; il faut nous en accommoder ; il faut nous l’accommoder. On ne supprime pas les chemins de fer parce que de temps en temps il se produit un déraillement ; et, tout de même, parce que de temps en temps le suffrage universel « déraille, » on ne saurait cependant songer à le supprimer. Aussi personne n’y songe-t-il. Mais c’est un devoir de songera rendre ces « déraillemens » le plus rares et le moins périlleux qu’on le peut, de régler le mieux qu’il se peut la machine. Pour cela, nous ne voulons pas médire des quatorze propositions de loi déposées sur le bureau de la Chambre et dont quelques-unes, espérons-le, finiront par revoir le jour ; elles sont nées d’intentions excellentes, et c’est déjà un signe et une promesse, qu’elles aient éclos. Assurément il serait bien (qui donc en douterait, après le tableau, nullement poussé au noir, que nous venons d’en faire ? ), il serait bien que les listes électorales fussent plus soigneusement dressées et plus sévèrement contrôlées, que la liberté des réunions publiques fût plus efficacement garantie, que l’affichage fût contenu dans de plus justes limites, que les bureaux de vote fussent plus équitablement formés, que les commissions de recensement fussent à la fois plus éclairées et plus impartiales. Mais ce sont là tout petits coups d’un tout petit marteau, pour redresser l’énorme bielle ou l’énorme