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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/473

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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 septembre.

Le dernier événement de la quinzaine qui vient de s’écouler est le plus imprévu de tous, et le plus pénible : l’impératrice d’Autriche a été assassinée à Genève par un anarchiste italien. S’il y avait une femme qui parût être à l’abri d’un pareil crime, assurément c’est l’impératrice Elisabeth. Elle était si peu impératrice ! Elle était si bien redevenue une simple femme, plus malheureuse seulement que la plupart des autres. Elle avait descendu les marches du trône, volontairement, douloureusement, pour rentrer dans la foule d’où elle n’aurait jamais voulu sortir. La couronne souveraine, trop lourde pour son front, n’avait fait qu’illustrer ses infortunes : sa grâce et sa beauté les avaient rendues plus touchantes. Autour d’elle, tout avait été brisé par la destinée, et, en elle-même, d’autres ruines s’étaient produites qui en avaient fait comme une épave auguste, ballottée sans cesse par les flots les plus amers. A ses côtés, la foudre avait frappé sans relâche : son fils, l’archiduc Rodolphe, mort on ne sait comment, on ne sait pourquoi, dans une maison de chasse, au milieu d’une forêt mystérieuse ; sa sœur, la duchesse d’Alençon, consumée, il y a un peu plus d’un an, par les flammes du bazar de la Charité ; son beau-frère, l’empereur Maximilien, fusillé au Mexique ; son cousin, le roi Louis de Bavière, noyé dans l’étang d’un de ses châteaux : et ici nous ne parlons que des morts. Elle-même, en proie à tant de fatalités, était apparue au monde comme une sorte de Valkyrie éperdue, cherchant dans le mouvement et la fatigue physiques un peu de repos à force d’accablement. Elle semblait vouloir échapper au sort qui la poursuivait, et qui continuait de se montrer implacable. Enfin, comme rendue et épuisée, la pauvre impératrice était tombée dans une mélancolie profonde, où elle ne sentait plus que le malaise de tant de malheurs, avec un besoin persistant d’aller d’un lieu à un autre, à la manière du malade qui change de position sur sa couche fiévreuse. Elle avait demandé, dit-on, à être ensevelie sur les rivages de Corfou, où sa tombe serait éternellement battue par la mer, à peine plus