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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/482

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gardé. Nos ministres ont cru qu’ils devaient d’abord se compléter en s’adjoignant un général, et qu’on s’entendrait ensuite avec lui. Ils ont cédé à cette pusillanimité des gens faibles qui reculent le plus possible devant les explications catégoriques, dans l’espoir que les choses s’arrangeront d’elles-mêmes, ou que les autres, aussi faibles qu’eux, hésiteront à rompre après avoir paru tout accepter. Mais nous sommes à un moment où toutes les fautes s’expient et s’expient vite. Si c’en était une d’introduire le général Zurlinden dans le ministère avec un bandeau sur les yeux, on n’a pas tardé à s’en apercevoir. Le général a ôté son bandeau, a lu le dossier, et s’est déclaré opposé à la révision. Et alors le gouvernement s’est trouvé dans un si grand désarroi qu’il est impossible de prévoir comment il en sortira, ou même s’il en sortira. La ressemblance entre le général Zurlinden et M. Cavaignac s’est encore accentuée au dernier moment : le nouveau ministre a mis le colonel du Paty de Clam en retrait d’emploi. Nouveau coup de théâtre, et cette fois sans explication. Nous ignorons les motifs de la disgrâce du colonel du Paty de Clam, mais ils ont dû être graves pour qu’on leur ait donné cours en ce moment. Et alors, comment ne pas se souvenir que le colonel du Paty de Clam a été chargé de toute l’instruction du procès Dreyfus, et qu’il en a été la cheville ouvrière ! Quel doute nouveau on fait naître dans les esprits ! Est-ce que tous les acteurs de cette déplorable affaire seront successivement disqualifiés ou frappés, sans qu’on consente à rouvrir l’affaire elle-même ? C’est la spécialité des ministres de la guerre : chacun, à son tour, accomplit un acte qui rend la révision plus inévitable, — après quoi il s’y oppose et il s’en va. Tout cela est fait pour confondre les esprits. On croit rêver, mais le rêve est pénible.

Jamais pourtant on n’a eu un plus vif besoin d’une solution rapide. Quelque opinion que l’on ait sur les incidens de ces derniers jours, ils ont fait au pays un grand mal, et il y aurait un mal plus grand encore à laisser ouverte la source obscure d’où ils sont sortis. Or nous ne voyons pas comment on pourrait la fermer en dehors de la révision. Ce n’est pas que nous nous fassions illusion sur les dangers de toutes sortes qu’elle présente. Ils restent très graves, et il faudrait au gouvernement, pour les conjurer, plus d’habileté qu’il n’en a peut-être, et qu’il n’en a, dans tous les cas, montré jusqu’ici.

On s’efforce de persuader à l’armée qu’il y a dans la révision un acte de défiance contre elle : s’il en était ainsi, ce n’est pas nous qui la proposerions. La révision ne veut pourtant pas dire que l’on croit désormais à l’innocence de Dreyfus et que le conseil de guerre qui l’a