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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/539

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Penser, pour l’Anglais, s’exprime même souvent par le mot réaliser, realize. Arrivé au bout de son raisonnement, l’Anglais ne s’arrête pas satisfait ; la conclusion intellectuelle n’est pour lui qu’un commencement, un principe d’action. Ce qui l’intéresse dans cette conclusion, ce n’est pas sa généralité, ni même sa vérité purement abstraite ; c’est la réalité future dont elle n’est que le premier moyen et qui, elle, constitue la fin. Il n’a donc pas besoin de se passionner actuellement pour le principe de conduite qu’il a une fois adopté ; il n’a pas besoin d’être de nouveau entraîné par l’explosion des sentimens corrélatifs aux idées ; il s’entraîne lui-même, en vertu d’un besoin d’agir constant et d’une volonté d’agir constante. Toutes ses conceptions sont déjà des convictions pratiques, des règles de conduite auxquelles il se conformera sans se laisser détourner ; ce sont des instrumens de travail aussi résistans et immuables que la pioche et la charrue du laboureur.

C’est par la volonté, cette faculté fondamentale et pour ainsi dire organique, que l’Anglais rappelle le plus fidèlement la race des vieux Germains ; — volonté ferme, opiniâtre, patiente et persévérante, telle qu’on la peut attendre d’organisations à la fois robustes et équilibrées. À un plus haut degré que l’Allemand, l’Anglais possède l’audace entreprenante et le goût de l’initiative. Sous ce rapport il a quelque chose des anciens Scandinaves et Normands, si amoureux des aventures. La volonté grise, dit Victor Hugo, en parlant des travailleurs de la mer. Cette griserie, l’Anglais la connaît. Il aime tout ce qui est puissance et force, ou tout ce qui en a l’aspect. Il a la plus profonde estime pour la volonté énergique et surtout constante, pour tout ce qui est dessein suivi. Il préfère un homme très imparfait, borné pur certains côtés, mais dont on peut prévoir la conduite et sur qui on peut compter, à un bel esprit qui joue le rôle de moulin à veut. Être indépendant, être confié de bonne heure à soi-même ; voilà l’idéal de l’Anglais : self help. L’auteur de Tom Brown’s School Days nous montre jusque chez les enfans le plaisir silencieux, cher à tout Anglais, d’endurer, de résister, de lutter contre quelque chose et « de ne pas céder. » Peu précoce, peu vif, l’enfant anglais a déjà l’initiative et la ténacité. Il est souvent indomptable, parfois brutal. De là l’emploi des verges. Les professeurs mêmes d’Angleterre font généralement un cas médiocre de l’instruction, un très grand cas du caractère. C’est ce qui ressort des