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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/569

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et il lui fallait se préoccuper dès lors d’un pays inconnu, se préparer même à le conduire, puisque, d’après les usages du temps, il accéderait aux trônes de Castille et d’Aragon au même titre que sa femme. Or ces royaumes étaient difficiles à comprendre, surtout pour un prince étranger : depuis peu de temps réunis, ils demeuraient distincts et jaloux de leur autonomie, de leurs coutumes et constitutions locales ; une administration, à la fois féodale et communale, y affectait des formes compliquées ; l’aristocratie était fière et puissante, la bourgeoisie des villes remuante et ombrageuse, le peuple incertain et flottant entre ces diverses autorités : tous se défiaient des influences extérieures. Il eût été nécessaire que Philippe étudiât longuement l’état des choses, les dispositions sociales et les caractères de la race, et mît à profit le temps qu’il avait devant lui pour être en mesure d’exercer le pouvoir lorsqu’il arriverait à recueillir effectivement l’héritage des Rois Catholiques. Mais il était loin d’une semblable pensée : avec une superbe confiance en lui-même, il considérait l’Espagne comme soumise d’avance à sa force et à son droit, sans qu’il eût rien autre chose à faire que de la prendre quand le jour serait venu. Bien plus, loin de chercher, comme il eût été de simple bon sens, à se concilier l’expérience profonde de son beau-père, il se mit en opposition vague d’abord et bientôt déclarée à l’égard de ce souverain soupçonneux. Tant qu’il resta dans les Pays-Bas, ses intentions malveillantes furent peu sensibles, mais on va voir qu’il en fut autrement dès qu’il vint dans la Péninsule, et quelle fâcheuse impression ce premier et rapide séjour laissa dans l’esprit de Ferdinand et d’Isabelle. Le triste état mental de Jeanne commençait alors à s’accentuer, de sorte que l’attitude de l’archiduc porta au comble leurs inquiétudes pour l’avenir des royaumes qu’ils avaient rassemblés avec tant d’efforts et gouvernés avec tant de gloire.


III

Philippe estimait si peu qu’il eût rien à apprendre ou à ménager en Espagne, que loin de se hâter d’y venir, il laissa passer près de deux années avant de quitter les Flandres. Comme il fallait pourtant que sa femme et lui reçussent le serment des Cortès de Castille et d’Aragon en qualité d’héritiers des deux couronnes, il céda enfin aux instances de Ferdinand et partit en décembre 1501. Louis XII ayant consenti, dans l’intervalle, à demander à